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> RéFLEXIONS
FAUt-IL SAvOIR NAgER pOUR émERgER ?
GhItA SkAllI Architecte
Ghita SkAllI est architecte et urbaniste. Après une formation à Paris, notamment à Sciences Po, elle exerce à londres, new York et Paris. De retour au maroc, elle dirige les projets du Grand théâtre de Rabat et de la tour Casa Finance City à Casablanca. Aujourd’hui elle explore toutes les échelles de projet au sein de son atelier, de la stratégie urbaine au design industriel. Elle est également professeure d’architecture à Casablanca.
émerger, verbe intransitif (du latin emergere, sortir de) : être vu, se faire connaître, sortir de l’anonymat, et inévitablement accéder un peu, ou beaucoup, à la célébrité. à l’ère de tik tok, instagram, snapchat, et autres plateformes dont il m’est difficile de garder le compte, qu’est-ce que la célébrité ? la prophétie de warhol est-elle plus vraie que jamais, puisqu’il suffit de s’exposer pour avoir ses 15 minutes de célébrité mondiale, ou bien cette « facilité » a-t-elle rendu le concept de célébrité plus exclusif ? à quoi se mesure la célébrité aujourd’hui ? est-ce une question de quantité (le nombre de followeurs, de likes, de retweets, de reposts) ou de durée ? la notion d’émergence peut aussi être considérée en termes de quantité, où l’on est visible d’un grand nombre et de très loin ; ou en termes de durée, où l’on réussit à rester à flots malgré les humeurs changeantes de l’océan. souscrire à l’une ou l’autre de ces définitions est une affaire personnelle. cependant, mon expérience auprès des promotions montantes d’architectes me laisse penser qu’il s’agit aussi d’une tendance générationnelle. et cette dernière penche résolument vers la toute- puissance de l’image. j’écris cela sans nostalgie. je ne suis pas encore assez âgée pour cela.
cette génération z, née entre 1997 et 2010 (donc diplômée, si tout se passe bien, entre 2020 et 2032), a été biberonnée aux recherches Google, aux articles wikipédia et aux tutos youtube. l’instantanéité (y comprit celle du savoir) est érigée en totem, et l’impression d’être ouvert sur son monde est omniprésente. cela engendre une distorsion du rapport à son contexte immédiat : on regarde le monde à travers l’écran de son téléphone, et on le corrige à coups de filtres si quelque chose ne convient pas à notre esthétique. on préfère googler un quartier que se donner la peine d’aller sur un site. on ne se regarde plus dans un miroir, on vérifie notre image sur un selfie. on s’auto-convainc du bien-fondé de notre projet dès lors que nos plans semblent bien tracés. et peu importe si la maquette est grossière, pourvu que les photos rendent bien. Après tout, ces dernières seront plus utiles ; la maquette elle, nul ne sait où elle est allée cacher son désarroi.
depuis toujours, mais avec plus d’acuité aujourd’hui, la substance de notre profession est galvaudée. les émissions de télévision, les comptes déco, les tutos, en insistant plus sur l’image finale que sur le processus de création, donnent l’illusion que le but d’un espace est purement esthétique. l’architecture ne peut s’apprécier par l’image seule. on ne vit pas que par ses yeux. cela vaut pour de nombreux autres aspects de notre culture contemporaine, qui nous font oublier nos mains, nos jambes, et la sensualité des éléments qui meublent notre vie. si le récent épisode de distanciation sociale s’avère capable de nous faire ouvrir ces yeux, puisse t’il nous montrer à quel point l’image n’a pas de profondeur. et puisqu’il est permis de rêver tiens, souhaitons qu’on arrête de demander aux architectes de produire des 3d toujours
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