Page 19 - Magazine Shuhari N°15 Jean-Pierre Cocquio
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SHU HA RI


                                                                               L’E-mag de l’Aïkido en Île de France



                   Le problème dans les dojos, de mon point de vue à  fort·e. J’ai  en  tout  cas  trop  souffert  pour  pouvoir
                   ce jour, n’a pas pour origine le sexisme, bien qu’il  encore mener cette bataille, j’ai essayé, longtemps,
                   existe, comme dans tous les aspects de la société.  j’ai  résisté, à un moment il n’y avait plus, ou trop peu,
                   Le problème pour moi vient du fait qu’il existe une  de plaisir dans la pratique pour continuer...
                   culture de domination dans les dojos, et les femmes  Voici des réponses aux questions que vous vous posez
                   la subissent tellement plus, bien évidemment, du fait  peut-être, j’imagine, les ayant déjà entendues
                   de leur taille, de leur statut social, du fait d’être  ailleurs :
                   des femmes tout simplement – on retrouve cela « Si tu as vraiment un haut niveau, tu dois sûrement
                   partout de toute façon. Cette domination est latente  pouvoir t’en sortir avec ceux qui te bloquent, si
                   et n’est jamais, ou trop peu, remise en question par  tu n’y arrives pas c’est que tu n’as peut-être pas
                   les pratiquant·e·s. Les hommes dominent les femmes  un assez bon niveau. » Certes, et j’arriverais bien
                   (d’autant plus parce que c’est facile), les hommes facilement à gérer des gens qui bloquent si seulement
                   dominent les hommes, les femmes dominent parfois  on n’était pas censé répéter un mouvement proposé
                   les hommes quand elles le peuvent, et bien sûr entre  par le/la prof. Uke peut très bien bloquer (avec ses
                   elles, il y a aussi de la domination. C’est un problème  40 kilos de plus que moi et la force de l’orgueil)
                   touchant à nos valeurs de base, à notre capacité  un mouvement très précis mais il ne bloque aucun
                   à chacun·e de nous questionner. Et c’est surtout un autre mouvement... Si je change de technique, uke
                                                                               sera-t-il assez conscient et humble pour ne
                                                                               pas  s’énerver, voire, devenir violent, ou
                                                                               essayer de me rabaisser : « Non mais ce
                                                                               n’est pas cela que le/la prof a montré »,
                                                                               « Pu...! Tu es violente. » et j’en passe.
                                                                               « Pourquoi ne pas monter ton propre
                                                                               club  ?  »  J’ai essayé l’enseignement et
                                                                               cela  m’apporte énormément de  joie.
                                                                               Hélas il y a eu aussi trop de gens qui m’ont
                                                                               ouvertement mise en difficulté par orgueil
                                                                               (?) et qui s’énervent quand ça ne m’arrête
                                                                               pas, qui remette ouvertement en question
                                                                               mes  propositions… Bref, c’est fatiguant.
                                                                               Et certes, peut-être que je n’ai pas eu la
                                                                               bonne  démarche. J’étais déjà  en train
                   travail d’honnêteté – avec nous-mêmes, avec nos  de  vivre une véritable rupture  avec  mon amour
                   égos.                                              de  l’aïkido à  ce  moment-là… ça  s’est peut-être
                   Sur un tatami on n’a pas de « niveau » à mes  senti. Malgré cela j’ai adoré enseigner.
                   yeux, on pratique ensemble, ça  marche, ça  ne  « Quelle est la pire chose qui t’est arrivée ? »
                   marche  pas... basta.  En  tous  cas, c’était  ce  dont  La pire ? Je ne sais pas car il y a tellement d’exemples
                   je rêvais. Hélas, ce n’est pas la réalité.  Les atti-  de mauvaise foi dans la pratique (surtout en stage
                   tudes ne sont pas en alignement avec mes valeurs  car on est moins surveillé  je pense) et je veux
                   de base dans la pratique. Il y a donc domination,  éviter de pointer trop du doigt. Encore une fois,
                   et nous les  femmes, comme souvent, récoltons les  je ne pense pas  qu’il s’agisse  strictement d’un
                   fruits les plus pourris de cette culture. Mais tout le  problème de sexisme, mais de domination.
                   monde en fait partie, on baigne dedans.... Peut-on Mais je peux dire que ce qui s’est passé à
                   extraire de cela les belles choses de la pratique  mon passage de 3      ème  dan  a vraiment mis
                   et les mettre en valeur, pourra-t-on ouvrir les yeux  le dernier clou dans le cercueil.
                   alors que c’est tellement plus confortable de se croire


                                                    28 Janvier 2022                                      page     19
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