Page 17 - Hunzinger - Press - Un chien à ma table
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Ame douce, âme sauvage

                           Edition : Du 08 au 09 octobre 2022 P.31

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           De         samère,femmeaudacieuse des traces  de sévices  sexuels,  un crime  dont  auburn,  elle peut  s’indigner  des dessous  du
                     aux vies multiples,  Claudie  Hun  l’horreur  dit à quel  point  «le monde  a bas  darknet,  s’émerveiller  des images  du téles
                     zinger  garde  une  formule  en  culé».  Les stigmates  sont  partout;  dans  les  cope  spatial  James  Webb  et vous  entretenir
                     héritage:  «L'amour  et la litté  vidéos  d’abattoirs,  dans  les groupes  de Sur  sur la beauté  des colchiques  vénéneux.
                     rature  n’ont  pas de genre.»  Un  vivors,  «vainqueurs  du futur  et musclés»  qui  Comme  Sophie  Huizinga,  son  alter
            siècle  après  le coup  de foudre  entre  Emma  passent  sous  ses fenêtres,  dans  les images  ego romanesque  dans  Un Chien  à ma table,
           et Marcelle,  raconté  dans  L’Incandescente  de la ville  de Wuhan  «désertée,  calfeutrée».  elle  se couche  dans  les prairies,  au milieu
            (Grasset,  2016), Claudie  Hunzinger  continue  Mais  la bête,  une  fois  soignée,  va remettre  des  insectes  et des  baves  d’escargot,  pour
           à écrire en marge des cases, des frontières ou  Sophie en contact avec le dehors.  entendre le pouls de la terre. Ses livres sont la
            des ordres  établis.  La preuve?  Contrairement  Entre  la  «femme  ensauvagée»  et  la  transcription  de cette musique-là.
           à l'usage qui fait manger les bêtes au sol, Un  «chienne  domestiquée»,  une  complémen  Dans  son dernier  roman,  c’est un ani
           Chien  à ma table hisse  un personnage  canin  tarité  totale  va se créer,  chacune  amenant  à  mal qui fait office  de métronome,  de guide,
            au même  rang que ses convives  - à condition  l’autre  sa part  manquante:  «C’est  ainsi  que  de muse,  de sève. Le genre  n’a plus  sa place:
           d’entendre ce terme dans son étymologie pre  grâce  à elle j’ai repris  l’habitude  de sortir  à  l’animal  est humain,  l’humain  est  animal,
           mière,  convivere,  du latin «vivre  ensemble».  l’aube pour  aller  marcher,  grand  silence,  pas  la femme  et l’homme  et le vivant  se fondent
               Car  c’est  bien  d’une  cohabitation  que  de loup,  aucun  bruit.  Avec elle. Et avec mes  dans  un  même  langage.  Avec  Yes,  Sophie
           nous  parle  Claudie  Hunzinger  dans  ce dou  Buffalo argentées. Je trouvais que ces grolles  retrouve  le chemin  de sa table de travail.  Elle
            zième  roman,  sélectionné,  àjuste  titre,  pour  s'assouplissaient  à  chaque  sortie.  S’allé  écrit  au crayon  à papier,  cette mine  dont  on
           les  Prix  Femina  et Médicis.  Cohabitation  geaient.  Me tenaient  de mieux  en mieux  les  peut gommer  la trace,  contrairement  à celle
           poétique  entre  le monde  du vivant  et celui  chevilles,  tout en me décalant  de la société  et  des  humains  sur  leur  environnement.  Le
           des humains,  que cette artiste  plasticienne  de soncentre.»           crayon  devient  le «trait  d'union»  entre le réel
            des Vosges,  qui a consacré  une partie  de son                        tant abîmé  et la littérature,  lieu de réconcilia
           œuvre  à «l’écriture  des herbes»,  n’a jamais                          tionpossible.™
            abordée comme une dualité. Elle en célèbre à  Le pouls  de la terre
           nouveau  les interférences  omniprésentes  et  Sophie  n’arpente  pas la forêt  en prome
           permanentes  dans Un Chien  à ma table, récit  neuse.  Elle  rampe  à quatre  pattes  dans  les
           d’une  cohabitation  plus  concrète  entre  une  buissons  de myrtilles.  Elle se niche  dans des
           chienne,  Yes, échappée  d’un  foyer  maltrai  fauteuils  fabriqués  avec des branchages.  Elle
           tant, et un couple,  Sophie  et Grieg,  échappés  accueille  la nuit  avec des yeux  phosphores
           d’un monde  tout aussi maltraitant,  habitant  cents. Elle renifle  les sols pour traquer  le par
           loin de tout, «au milieu  des forêts».  fum  des aiguilles  de sapin,  inquiète  de leur
                                               raréfaction.  Elle  voudrait  ne penser  à rien,
                                               comme l’oiseau, mais sans cesse lui revient la
               Sortir  à l’aube                conscience qu’on est entré dans une «ère de
               Ils sont  ensemble  depuis  soixante  ans.  terreur  pour notre espèce et pour les autres».
            Elle écrit, il lit. Ils se sentent «d’étranges vieil  Appuyée  sur  son  bâton,  elle  flnit  tou
           lards  abritant  un enfant»  parce  que bien que  jours  par rentrer  chez elle, aux Bois-Bannis.
           le corps manifeste puis impose des signes de  Derrière  le nom  de ce lieu-dit,  on reconnaît  Autrice Genre Roman
                                                                                                 Claudie Hunzinger
           vulnérabilité,  l’esprit reste vif, aux aguets.  Bambois, la maison isolée dans le massif des  Titre Un Chien à ma table
               Ainsi  Sophie,  observatrice  en éveil per  Vosges  où Claudie  Hunzinger  s’est installée  Editions  Grasset
           manent,  va-t-elle  connaître  un  sursaut  de  avec son compagnon  en 1965. Elle  avait  25  Pages  288
           vitalité  inespérée  avec l’arrivée  de ce «balu  ans.  Vivre  à l’écart  du monde  lui  a permis
           chon  de poil  gris,  sale, exténué,  famélique»  de se rapprocher  de son centre.  A 82 ans, le
           qui se pointe un soir sur son palier. Elle porte  regard  céruléen  qui frétille  sous sa crinière






















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