Page 51 - Lux in Nocte 15_Float
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La petite école
Vivianne Melh
C’était la rentrée des classes. Une petite école, construite dans les années 60 avec
de grandes fenêtres donnant sur la cour et un mur pignon appareillé de pierres
blondes accueillait, en ce jour de septembre mordoré, une nouvelle classe et des
fillettes se retrouvaient devant une nouvelle institutrice. Celle-ci avait de longs
cheveux bruns qu’elle tenait tressés sur le côté en une longue natte qui lui donnait
un air d’héroïne de la littérature russe. Sa silhouette svelte et sa douceur tranchait
avec les institutrices habituelles au regard dur et à l’autorité menaçante. La
précédente institutrice pour instaurer le calme ne cessait de frapper son bureau
avec une règle en fer et de s’écrier « silence, nom d’une pipe », en nous menaçant de
devoir présenter nos doigts au courroux de la règle infernale. Et pourtant les
enfants que nous étions, passions patiemment les heures interminables sur notre
chaise de bois. Cette nouvelle année scolaire se présentait sous de meilleurs jours.
C’était en 1964 et en classe de CE1. C’était l’époque où existaient encore des écoles
de filles et des écoles de garçons. J’étais assise auprès de ma meilleure amie et nous
restions silencieuses. La nouvelle institutrice avait médusé toute la classe. 40 paires
d’yeux la dévoraient et les élèves redoublaient de concentration. Une première
journée mémorable. Le lendemain, chaque fillette ayant de longs cheveux était
venue avec la natte asymétrique. Sans aucun doute, le portrait de la nouvelle
institutrice avait alimenté les conversations familiales et les mamans s’étaient mises
à coiffer leurs filles selon le modèle décrit. Je les enviais, moi qui avais les cheveux
courts. Il y avait dans ce mimétisme toute l’admiration portée à cette jeune femme,
belle et charismatique. Mademoiselle D. était bienveillante, toujours des paroles
douces qui apportaient l’assentiment de la classe. Je n’ai jamais su son prénom
mais elle signait par un Y avant son nom de famille. Un nom aux consonnances
étrangères, peut-être espagnoles. Alors Yolanda ou simplement Yvonne ? Je me le
suis longtemps demandé. Ma mère l’avait surnommé « Natacha », sans doute à
cause de sa coiffure, peut-être en référence à son aura romantique. Ma mère avait
cette curieuse tendance à « russifier » les personnages. Elle m’appelait tendrement
Petrouchka.