Page 26 - Bouffe volume 3 - Surgelée
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Nous arrivons chez ma cousine, qui déborde de joie de nous montrer sa ville. Chaque jour du mois de juillet est pour nous un moment d’explorer et de nous faire de nouveaux amis. Nous pédalons vers des bateaux-maisons sous le soleil de minuit, nous chantons autour d’un feu de camp (la fumée éloigne les moustiques) et nous dormons dans des cabanes. C’est merveilleux de pouvoir s’asseoir dehors (et d’écraser des moustiques) en pleine nuit; le temps est assez clair pour lire un livre. Ce n’est pas facile de savoir quand aller dormir. Nous passions tellement de bon temps que notre « fin de semaine » à Yellowknife ne cessait de se prolonger. En très peu de temps, des gens nous ont proposé du tra- vail. Il y a beaucoup d’emplois à salaires élevés à Yellowknife, mais il peut être très difficile de se trouver un appartement, surtout quand on a un chien. Je suis embauchée à la bibliothèque publique, mais nous devons habiter dans une tente sur un terrain de camping pendant un mois et demi, avant de nous trouver un loge-ment. Hélas, une fois le mois d’août arrivé, le soleil commence à se coucher le soir. Cela nous aide tout de même à nous endormir. Et le temps plus frais ra- lentit les moustiques.
Je fais connaissance avec le chef de la bande autochtone des Dénés Yellowknives 26 un après-midi, devant une épicerie. Il me dit aimer mes lunettes de soleil. Nous jasons pendant un moment et, lorsqu’il apprend que je suis nouvellement arrivée en ville, il me confie qu’ils sont très fiers de leur culture traditionnelle ici. Il me raconte que tout comme bon nombre de Dénés de son âge, il a grandi ici et sa famille habite dans une tente. Encore aujourd’hui, en hiver, il se rend en moto- neige avec ses frères sur la terre aride et ils chassent le caribou. Tout est utilisé : la viande, la peau, les os, le cerveau et tout le reste. Ils partagent ce qu’ils chas- sent, c’est la loi des Dénés. Puis il me dit d’attendre un peu et se précipite vers son camion, il en revient avec des saucisses de caribou maison. Nous les avons gardées pour ma fête et ma blonde les a fait cuire sur le feu de camp. Étonnamment,
elles sont juteuses, pas très caoutchouteuses et franchement délicieuses.
En septembre, lorsque le temps se rafraîchit, nous réussissons à trouver un ap- partement au centre-ville, au moment même où les rues deviennent une parade de mode de talents locaux et d’objets faits-main. Des gens exposent leurs manteaux, mocassins et gants en perles ou en peau de caribou ou d’orignal couleur fumée. Je n’avais jamais vu autant de belles œuvres d’art pratiques, et j’apprends qu’habi- tuellement, les patrons sont transmis d’une génération à l’autre. Il est possible d’identifier une communauté ou une famille tout simplement en se fiant aux perles portées. On voit aussi très souvent des hommes porter des fleurs roses
complexes sur leurs vêtements.
Comme je ne connais encore personne qui m’aime assez pour m’acheter des
trésors perlés, et que je ne peux me les payer, je décide d’essayer de les faire. N'ayant personne pour m’enseigner les techniques, j’opte tout simplement pour la façon a fait le plus de sens pour moi. Je me déplace partout sur le ter- ritoire — m’assoyant dans les parcs, les cafés et les arrêts de camion — et je broche. Des femmes Dénées m’approchent en riant. « Qui est ta grand-mère », me demandent-elles horrifiées. Me prenant des mains mes tentatives de brochage massacrées : « Tiens, fais-le comme ceci ». Je suis fière que ces femmes originaires d’un peu partout dans les Territoires du Nord-Ouest m’aient appris comment brocher. Malgré qu’elles aient parfois ri de moi.
À l’été 2011, quelques années après m’être installée à Yellowknife, je termine mon voyage à Inuvik, roulant sur la terrible route Dempster. En arrivant, je quitte mes amis et leur laisse mon chien, afin qu’ils puissent profiter du Great Northern Arts Festival, un grand rassemblement de musiciens et d’artisans talentueux ve- nus de partout dans le Nord. En dépit de mon amour pour l’artisanat, je ne peux pas rater cette occasion d'enfin voir l’océan Arctique. Je prends donc un vol dans un petit avion de six passagers vers Tuktoyaktuk, accompagnée de la cargaison de fraises de la communauté. Pendant le vol, je jase avec une femme nommée Rita, et ses amis, qui n’avaient pas visité leur communauté depuis des décennies.
Nous arrivons à 11 h. Je marche une courte distance entre l’aéroport et la plage sur laquelle je prévois installer ma tente — il n’y a aucun hôtel à Tuk. Je ne vois personne dans les rues, aucune voiture, rien du tout. « Où est tout le monde? », je me demande à voix haute. Je fais une sieste sur la plage rocheuse sur laquelle s’empile du bois flottant venant du Sud. À mon réveil, je dois me soulager. Je ne suis pas étrangère au camping de campagne profonde, mais j’avais oublié qu’il n’y a pas d’arbres à Tuk. Je ne peux me cacher nulle part! Si quelqu’un m’observe
ffffffff


































































































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