Page 32 - Bouffe volume 3 - Surgelée
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On ajoute un mix de paprika réduit en poudre, d’ail, de sel, de poivre. On introduit l’assemblage entouré de boyaux dans une machine formant la saucisse, et voilà le résultat ».
Enfin presque. Les pièces reposent quelques jours à l’ombre avant que leur arôme ne soit entretenu par un nuage chaud et brumeux. Cinq, sept ou huit fois vingt-quatre heures selon l’aspect. Au feeling. Trois à cinq pour la kolbász, autre gourmandise centre- européenne ronde essentiellement por- cine et seconde vitrine de l’exploita- tion. Ses spécificités? Texture molle, circonférence réduite et teneur en graisse renforcée. Les deux compères extraient également du lard et du jam- bon si la demande suit.
Face au géant de la charcuterie Pick, basé à Szeged, grande ville uni- versitaire du sud de la Hongrie, Gyula et Moni répondent par l’authentici- té, la qualité, la proximité et un tarif hyper avantageux. Six mille forints (27,89 $CAD) le kilo de szalámi au Tesco du coin, 2500 (11,62 $CAD) chez eux.
crème de fromage. On lui attribuerait volontiers le label Hungaricum, appel- lation mettant en lumière les riches- ses culturelles et gastronomiques ma- gyares comme le patelin médiéval de Hollókö, le célèbre footballeur Ferenc Puskás, le compositeur Béla Bartók, la tarte Dobos choco-caramel-noisettes ou le goulash.
Sur la liste, on retrouve des « con- currents » du szalámi made in Tolna, à l’instar des saucisses dites de Csaba ou de Gyula, icônes de localités situées à quelques encablures de la frontière roumaine et bénéficiant d’une indi- cation géographique protégée. Des festivals dédiés à leur gloire, l’un en mars, l’autre en octobre, réunissent des dizaines de milliers d’accros. Cer- tains courageux se farcissent la route depuis la Slovaquie, la Serbie, la Polo- gne ou même l’Allemagne pour s’en mettre plein la panse.
Mais en cette fin d’automne, Gyula et Moni ne se préoccupent ni de la foule ni des distinctions. Deux semai- nes de météo maussade ont compliqué
potes sportifs habitués à l’effort au- raient du mal à tenir le rythme. Il faut avoir grandi dedans pour bien saisir l’ampleur du job. Supporter canicule et froid extrême. Beaucoup me disent qu’ils veulent donner un coup de main. Super! Et puis, quand ils comprennent ce qui les attend, leur motivation se casse la gueule. La pression est perma- nente des heures durant. C’est pas du gâteau ! »
Emmitouflée dans un sweat turquoi-
se légèrement froissé, Moni regarde
son demi-frère parcourir leur domaine
commun sur l’engin qu’il a réparé à la
ferme avant d’attaquer le turbin. Elle
s’interroge sur la quantité précise de
paprikas écarlates prêts à franchir le
palier séchage. Les élus poireautent
dans des bacs jaunes remplis à ras
bord sur la terrasse du domicile. L’air
se rafraîchit sensiblement. Les saisons
s’enchaînent à vitesse grand V. L’hiver et le gel frappent au portillon. Les
temps morts sont rares.
Humble, le binôme profite du bouche-à-oreille et se fiche de rouler
Imbattable. L’hiver dernier, un millier d'unités a été écoulé. Le compteur de- vrait dépasser 1500 pour 2015-2016. Les rendements industriels? Hérésie. Ici, c’est du frais et du vrai. Sans chro- nométrer la cadence.
«c’est pas du gÂteau!»
En bouche, le produit ravit les papil- les. S’invitant à merveille sur des tar- tines mâtinées de bouts de tomate juteux et de piment vert au piquant remarquable posés sur une couche de
la récolte de maïs et la semaison de blé. Le mercure peine à descendre à un niveau jugé correct pour inciser les porcs même si l’écharpe serrée s’impose. Les choux-fleurs, les choux- raves et carottes maison arrivent pé- niblement à maturité. Une accalmie permet à l’ex-boxeur de mieux retour- ner ses dix hectares de terres, dont il loue une parcelle dans les parages.
« Quand le ciel ne fait pas trop de caprices, je bosse non-stop ou avec des mini pauses de-ci de-là. Même mes
sur l’or. Du moment que l’affaire tour- ne, que le produit plait et qu’un peu d’argent frais entre dans les caisses, c’est plutôt bon signe. Moni se sert de ses connaissances en biologie et supervise la comptabilité. Gyula s’oc- cupe plutôt de l'aspect physique. Un groupe Facebook recueille les diverses commandes. L’auteur de ces lignes fi- gure parmi les clients. Pour ce duo ayant transformé une tradition en passion, tout semble effectivement bon dans le cochon.