Page 47 - Bouffe volume 3 - Surgelée
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d’acheter un tracteur ou un coupeur de canne seconde main et de le rebâtir, c’est ce qu’ils faisaient. Comme beau- coup d’Acadiens, ils ont inventé le cou- peur de canne que les garçons à Joe utilisent encore aujourd’hui.
On est en plein milieu de la roulaison. Joe est bien ier de me montrer la ma- chine assez complexe qu’ils ont créée, qui coupe deux rangées de canne à la fois. C’est impressionnant de voir cet appareil énorme — pareil comme une machine de Star Wars — en train de couper des rangées de cannes à cette vitesse.
Joe aime beaucoup la production de la canne à sucre, mais sa véritable pas- sion, c'est la terre et les façons de la préserver. L’agriculture durable n’est pas un passe-temps pour lui, mais bien une mission personnelle. Il a à cœur de léguer à ses garçons une terre meilleure.
Il est toutefois aussi conscient que la production de la canne à sucre est une business. Depuis toujours, il cherche des méthodes de conserva- tion de la terre qui rapportent. Il se sert de la rotation des cultures. C’est-à-dire qu’il sème le quart des champs par an. Autour, il utilise des cultures qui per- mettent de préserver la santé de la terre, ou laisse les champs en jachère. Il y a 20 ans, il a tenté des expériences avec le compost, sans succès. Bref, il cherche sans cesse des méthodes de conservation.
Il parle avec émotion de la famille Porter, une famille noire qui a travaillé avec les Judice pendant trois généra- tions, en commençant avec son grand- père. Le premier Porter, Alexandre, a marché de la Virginie à la Louisiane après la Guerre civile. C’était un grand traiteur — ou un guérisseur tradition- nel — dans le coin. Joe dit que Allie, le petit-ils d’Alexandre, était « pareil comme un frère ».
Dans les années 1960, sa famille cul- tivait 300 acres. La paroisse d’Ibérie comptait 40 moulins (raineries) et 700 habitants cultivant la canne. À cette époque Joe faisait la récolte avec son père, Antoine, son frère, Robert, et son cousin, Lawrence.
L’industrie a bien changé depuis. En 2015, la famille cultive 2 300 acres. On retrouve 11 moulins et moins de 700 habitants cultivent la canne dans l’état entier louisianais. C’est décevant parce que la production de sucre a de beau- coup augmenté depuis les années 1960 en raison de l'amélioration des métho-
des de culture et des meilleures varié- tés de cannes disponibles. La Louisiane produit asteure plus de 13 millions de tonnes de sucre, pour une valeur de 2,2 milliards de dollars.
Récemment retraité, après 47 ans de carrière, Joe ne travaille plus dans les champs, mais ses quatre garçons — Mike, James, Brady (dit Bordure) et Justin (dit Boulon) — font partie de la 7e génération de cultivateurs de canne à sucre. Joe leur parle souvent durant la journée.
Il est bien ier de son héritage cadien. Sa grand-mère, la mère de sa mère, était une Landry, et la première femme de son grand-père Charles était une Hébert. Un de ses arrières-grands-pères, le premier Louis, était Commandant du district Cabannocé, où les premiers Acadiens en Louisiane se sont établis en 1764. Le Commandant Judice était un grand allié des Acadiens, et luttait contre le gouverneur espagnol qui ne permettait pas aux nouveaux arrivants de s’établir à côté de leur parenté re- trouvée.
« Ma ille, Ashli, est maîtresse d’école (enseignante) de français au Canada », m’annonce-t-il avec beaucoup de ierté.
Elle a gagné des bourses pour étudier
le français à l’Université Ste-Anne en Nouvelle-Écosse et à Paris. Elle s’est
ensuite mariée à un Canadien, et elle
enseigne le français à Windsor, en 47 Ontario, où elle élève sa ille et attend
bientôt son deuxième bébé. Voilà une 10e génération de Judice francophone! Joe habite avec sa femme, Gladys, juste à l’extérieur du village de Lo- reauville. Il prend part activement au Projet Nouvelle-Acadie, basé autour de Loreauville. Le projet cherche à retrou- ver les emplacements de camps établis par Alexandre et Joseph Broussard — dit Beausoleil — en 1765. Il me montre la terre, juste en face de sa maison, où ils vont bientôt exhumer et examiner
quelques corps.
Avant d’aller visiter la terre, nous
passons chercher son petit-ils de 8 ans, Johnny D, le ils de Boulon. Au milieu de notre visite, Johnny D demande à son Pop-Pop, si c’est la terre où ils cher- chent les Acadiens.
Bien qu’il soit encore trop tôt pour savoir si la prochaine génération de Judice fera récolte, Joe pense que c’est bien possible. Avec ou sans la langue et la récolte, la culture cadienne est sécurisée et bien présente dans la famille Judice.