Page 63 - Bouffe volume 3 - Surgelée
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Hey! Comment peux-tu manger ces fraises en plein hiver? Tu n’encourages pas la souveraineté alimentaire! Et ton café? Il a été préparé par un micro- torréfacteur local? Le blé qui a été utilisé pour faire ton pain, est-ce qu’il est issu d’une production de proximité? C’est quoi l’idée; tu n’es pas locavore?!
Quelques questions lancées à mon vi- sage en ce matin de tempête de neige où j’étais assise, tranquille, dans une salle de l’université à essayer de ne pas procrastiner pour une fois. Locavore. c’est intrigant. Un petit clic pour fer- mer le document qui devait accueillir mon travail de session et un autre clic sur mon navigateur Internet pour dé- couvrir que « locavore » a été consacré mot de l’année en 2007 par le New Oxford American Dictionary1. Ah. je n’avais pas reçu le mémo.
Je ramasse mes livres et quitte l’école. Oublié le devoir. Aujourd’hui, je me fais plutôt un devoir de compren- dre c’est quoi être locavore et surtout, comment l’être en plein hiver.
direction « chez grand-papa marcel »
Mon grand-père a toujours réponse à tout et, en plus, il est fermier. Il doit bien savoir ce que c’est le locavorisme.
Pendant que je roule vers ma cam- pagne natale, je me demande où tout ça a bien pu commencer; l’agriculture et les préoccupations sur ce qu’il y a dans notre assiette. Les premiers hu- mains pratiquaient une agriculture de subsistance basée sur la proximité2. Après tout, les peuples sédentaires éli- saient domicile dans des endroits où ils pouvaient cultiver et les peuples nomades se déplaçaient surtout pour trouver de nouveaux endroits de cueil- lette ou de chasse. Si eux pouvaient
s’alimenter de façon locale et en toutes saisons, pourquoi pas nous?
J’arrive chez mes grands-parents et ça sent bon la soupe de grand-maman. Attablée devant un bol fumant, j’ex- plique à papi Marcel ce que je fais là en plein milieu de semaine. « Non, je n’ai pas d’ennuis. Oui, tout va bien à l’école. Mais je me demandais, tu sais c’est quoi être locavore, toi? » Pas de chance, il n'a jamais entendu ce mot. On parle un peu et soudain. Bien sûr qu’il sait c’est quoi! C’est un concept vieux comme le monde. Les premiers Canadiens cultivaient pour nourrir leur famille et, avec les surplus agri- coles, voyaient aux besoins de la com- munauté immédiate. Puis, il y a eu l’exode rural, l’arrivée des multinatio- nales, l’importation. À partir de là, plus moyen de l’arrêter. Il m’explique que c’est important de valoriser les petits et les moyens producteurs comme lui parce que ça leur donne des conditions de vie plus raisonnables. Par exemple, quand il vend sa viande directement à un consommateur, il n’est pas obligé de passer par tout un tas d’entreprises intermédiaires, il fait donc plus de proits. Même quand il décide de faire afaire avec le boucher du village, les proits que ce petit commerçant fait en vendant sa viande, il les réinvestit dans la communauté3. L’argent reste dans la région et ça proite à plus de gens.
30$
Montant additionnel que chaque consomma- teur québécois devrait dépenser par année en produits québécois pour injecter 1 milliard de dollars en 5 ans dans l’économie locale.
* Selon le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec
Il a un bon point. Reste qu’il est fermier alors c’est certain qu’il veut qu’on achète ce qu’il produit. Un bisou à grand-maman, et hop! je repars. Je dois retourner rédiger mon essai de littérature.
petit détour par l’épicerie
Même si je me suis goinfrée de sucre à la crème avant de partir, en arrivant en ville, j’ai faim. Avant de retrouver le confort de mon sofa, j’arrête à mon supermarché préféré. Je suis là à sali- ver devant les mangues et les ananas quand une employée s’approche de moi. La quarantaine avancée, son éti- quette me dit qu’elle s’appelle Jocelyne. Elle me regarde avec un sourire en coin. Je lui demande son avis pour une petite fringale d’après-midi et, à ma grande surprise, elle me dit qu’elle ne
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* À noter que les personnes et les évènements dans cet article sont des artiices littéraires utilisés pour véhiculer l’information de façon plus intéressante et dynamique. Jocelyne, tout comme Elvis Gratton, n’est pas une vraie personne.