Page 9 - Bouffe volume 3 - Surgelée
P. 9
Lorsqu’on pense à la boufe d’hiver 9 canadienne, on s’imagine souvent des plats mijotés qui font sentir bon toute
la maison et nous donnent une raison de ne pas en sortir. Ou encore, des mets robustes et hypercaloriques qui nous durcissent la couenne et nous permettent d’afronter les grands froids de la saison. Ils sont synonymes de réconfort et d’abon- dance. Il existe cependant un autre côté à l’assiette. Celui où l’hiver au Canada rime avec malnutrition et famine. Nous vous invitons à le découvrir, mais ne soyez pas surpris de l’arrière-goût qu’il laisse en bouche.
En 1603, le sieur Pierre Du Gua de Monts est nommé Lieutenant général en Amérique septentrionale par Henri IV. On lui accorde le monopole de la traite des fourrures en échange de la colo- nisation du territoire. Il s’établit en 1604 à l’île Sainte-Croix, à l’embou- chure du leuve Sainte-Croix sur la baie Française — que l’on connaît maintenant comme la baie de Fundy — à la frontière actuelle du Nouveau- Brunswick et du Maine 1. À ses côtés se trouvent le cartographe Samuel de Champlain et environ 75 Français.
Le premier hiver nord-américain frappe les nouveaux résidents comme un sceau d’eau en pleine igure. Ou plutôt, un sceau de sloche. Ils sont à peine installés que l’eau autour de l’île gèle et les rend prisonniers pour l’hi- ver. Le journal de Champlain rapporte que « Durant cet hiver nos boissons
gelèrent toutes, hormis le vin d’Es- pagne. On donnait le cidre à la livre. Nous étions contraints d’user de très mauvaise eau et boire de la neige fondue (.), car il n’était pas possible d’aller en la grande terre à cause des grandes glaces que le lux et le relux charriaient 2 ».
Les violentes conditions déjà impo- sées par la saison, en plus du conine- ment territorial, font en sorte qu’un mal de terre s’installe et se répand par- mi la bande comme un feu de paille. Les premiers symptômes se font voir : des amas de chair dans la bouche qui causent des hémorragies et une dé- composition telle des gencives que les dents ont peine à tenir en place. S’en suivent le boursoulement et le dur- cissement des jambes et des bras, des douleurs aux reins, à l’estomac et au ventre, puis un soule court accom-
pagné d’une toux creuse. « Bref, ré- sume Champlain, ils étaient en tel état que la plupart des malades ne pouvaient se lever ni remuer, et même ne pouvaient se tenir debout 3 ». Plus de la moitié de l’équipage ne voit pas l’arrivée des premiers bourgeons du printemps. Le scorbut s’empare d’eux avant, leur inligeant une mort lente et douloureuse comme l’hiver.
Les hommes de de Monts n’ont pas la chance de ceux de Jacques Cartier qui, lors de son voyage en Amérique du Nord, en 1535-36, voit le ils du chef iroquoien Donnacona guérir du scor- but grâce à une infusion d’écorce d’arbre. Plusieurs membres de son équipage réussissent à retrouver la santé en recréant cet élixir. Il faut toutefois attendre encore longtemps avant de comprendre exactement la cause de la maladie. Le jeune médecin