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culture
et frais du matin, et planer des yeux sur l’horizon de ce
beau lac, dont les rives et les montagnes qui le bordent
enchantaient ma vue ». Naviguant dans une barque sur
le lac, il s’écrie : « O nature ! ô ma mère ! me voici sous ta
seule garde ; il n’y a point d’homme ici adroit et fourbe,
qui s’interpose entre toi et moi ».
Près du débarcadère du Klosterhotel (car on accède à
l’île – en réalité une presqu’île – seulement par bateau, à
bicyclette ou à pied), on trouvera un buste du philosophe,
mais on visitera surtout sa chambre à l’étage de l’hôtel.
Chambre modeste, précédée d’une cuisine, avec son petit
lit à baldaquin, un canapé, quelques chaises et deux tables.
Le plus intéressant reste toutefois une trappe entrouverte
devant le lit qui permettait à Rousseau de s’y glisser afin
d’échapper à toute visite inopportune, témoignage si
éclairant de son délire naissant de persécution.
On peut encore se promener sur les hauteurs jusqu’à un
joli pavillon que Rousseau affectionnait particulièrement
et où venaient se réunir pour chanter et danser les
habitants de l’île pendant les vendanges. Lui qui fuyait
le monde ne dédaignait pas leur compagnie même s’il
ne comprenait pas un mot de ce qu’ils disaient puisqu’ils
parlaient le suisse allemand. On est souvent surpris en
Suisse de découvrir à quel point on franchit si vite la
frontière linguistique, et sur le lac de Bienne le français
est fort peu parlé.
Le séjour paradisiaque de Rousseau fut de courte
durée : le 10 octobre 1765, les autorités bernoises,
qui ne voulaient pas s’embarrasser d’un personnage
aussi compromettant, décidèrent de le chasser à peine
quelques semaines après son installation dans une île où
il aurait bien souhaité finir ses jours, car, écrit-il, ce fut
« le temps le plus heureux de ma vie ».
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