Page 9 - Rebelle-Santé n° 230 - Extrait "Microbiotes"
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PHYSIOLOGIE
Depuis quelques années, on n’entend parler que le gros intestin et dans le grêle, derrière les oreilles ou
de lui : le microbiote. Comprenez « le micro-
biote intestinal », anciennement « flore intes- tinale » ; pourtant, l’ellipse ne devrait justement pas aller de soi. Car le microbiote, qui se définit globale- ment comme « un ensemble de microbes vivant dans un environnement spécifique, le microbiome », n’est pas cantonné à notre tube digestif ! Loin s’en faut.
L’HOMME, UN HÉBERGEUR DE MICROBIOTES
En fait, cette sorte de jardin intérieur constitué d’une foultitude de micro-organismes – pas uniquement des « bonnes bactéries » contrairement aux idées reçues – colonise l’intégralité de nos « surfaces » : peau, lèvres, cheveux, yeux, muqueuses des poumons, oreilles, vagin... Même ce que l’on imaginait stérile jusque-là (poumon, placenta...) ne l’est pas !
Ainsi, ce microbiote est un véritable écosystème avec ses lois, son équilibre, ses maladies (et déséqui- libres). Cutané (sur notre peau), unguéal (nos ongles), génital, pulmonaire, oculaire, buccal, tous ces micro- biotes, bien que moins étudiés que leur grand frère intestinal, doivent tout autant être respectés ! Car les scientifiques sont désormais clairs : seule une cohabi- tation harmonieuse avec ET entre les différents micro- organismes (bactéries, virus, champignons) nous per- met de rester en bonne santé.
Plutôt que de considérer ces microbes comme des squatteurs inopportuns – ce qui est faux puisque sans eux nous ne pourrions survivre plus de quelques minutes – il faudra bien un jour les considérer, au contraire, comme une partie de nous-mêmes. Ils SONT nous, même si cela nous paraît étrange. Il suffit juste de penser les choses différemment : cet autre, microscopique, nous « squatte » peut-être contre notre gré, mais d’un autre côté, il nous apporte de l’énergie (digestive), une protection (anti-mycoses, anti-infections), des vitamines vitales, etc.
À CHAQUE ZONE CORPORELLE SES SOUCHES ET SON ÉCOSYSTÈME
En fonction de l’emplacement (soleil, lumière, air...), de l’environnement (tuyaux respiratoires obscurs, par- tie extérieure de l’ongle, raie au milieu du cuir che- velu...), de la météo (chaleur, humidité), de ce que nous avalons (sucre, gras, protéines, fibres...), de notre niveau d’activité physique – et donc de l’afflux de sang, d’oxygène, d’acide lactique dans le corps –, les souches diffèrent d’une personne à l’autre, mais aussi d’un centimètre carré de peau à l’autre. Ainsi, la na- ture des bactéries et des virus n’est pas la même dans
sur les joues.
Au final, l’ensemble de tout ce petit monde, c’est nous. Voilà pourquoi les spécialistes estiment aujourd’hui que l’humain est presque 10 fois plus microbien qu’humain, « c’est un hybride mammifère-microbe, un super-organisme, notre microbiote excédant res- pectivement d’un facteur 10 en nombre de cellules et 150 en nombre de gènes le nombre de cellules com- posant notre corps et le nombre de gènes actifs com- posant notre génome. »*.
L’affaire est donc aussi philosophique que scientifique. De là découle la suite logique : s’acharner contre les microbes, c’est s’acharner contre nous-mêmes. D’ail- leurs, nous façonnons notre propre microbiote via nos choix : nos aliments, notre gel douche, nos vêtements synthétiques ou naturels... Aberration : une fois que nous avons appauvri consciencieusement nos micro- biotes à coup de conservateurs, gels antiseptiques, traitements antibiotiques, etc., nous prenons des pro- biotiques sous forme de compléments alimentaires ou d’ovules, de crèmes... pour réensemencer de la main droite ce que nous avons éliminé de la gauche. Mieux vaut corriger cette incohérence plutôt que de la col- mater maladroitement !
*Philippe Sansonetti, médecin et chercheur en micro- biologie
LE GRAND MALENTENDU
Il y a un malentendu. Depuis ce bon vieux Pasteur, qui a incontestablement sauvé des millions de vies, nous confondons « hygiène » et « élimination totale et mas- sive des microbes ». Un peu comme on assimile « en- tretien des champs » à « pesticides qui tuent tout ». Comme si le corps (comme les plantations) devait être pur, c'est-à-dire débarrassé de tout micro-organisme.
Cette confusion s’est aggravée avec la crise de la Covid-19 : on se méfie de tout, de tous et de tout le monde, on s’asperge les mains de gel hydroalcoolique pour « se purifier ». Bref : on se sent « soi-même » propre, ce sont « les autres » (le voisin, la caissière...) qui véhiculent le mal (le virus, la bactérie, le champignon...). Ainsi, notre peau est-elle chaque jour l’objet d’un génocide (douche aux produits agressifs), notre intestin le siège d’une guerre des tranchées (les additifs de type conservateurs sont des tueurs en série de bactéries, c’est leur travail : ils dégomment aussi les « bonnes »). Or, l’immense majorité des microbes présents sur et dans notre corps sont, au pire inoffensifs, au mieux indispensables. De par leur simple présence, ils empêchent les « méchants
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