Page 52 - Rebelle-Santé n° 207
P. 52
PHILOSOPHIE CULTURE
• Anabase (L’esprit de la montagne), Jean-Marc Rochette et Bernard Amy. Éditions Le Tripode. 48 pages. 16 €.
humaine qu’on porte en chacun de nous, qui fait qu’on a cette image de la montagne et sa symbolique très profondément inscrite au fond de notre esprit, qui détermine et interagit tout le temps dans nos rapports avec elle.
En science, on fait la différence entre l’ontogenèse et la phylogenèse. Or si l’ontogenèse définit toutes les expériences qui nous ont construits, depuis la conception jusqu’à l’état adulte, la phylogenèse rassemble tout l’héritage que notre espèce nous a transmis, comme notre inconscient collectif. Au sein de cet héritage, il y a la montagne et cette idée familière quand on marche sur une pente qui renvoie à tout ce qu’ont pu vivre les premiers êtres humains qui ont dû, un jour, se mettre à gravir des pentes. Cette réminiscence symbolique rencontre l’expérience de la montagne en soi, c’est-à-dire la montagne prise en elle-même, en tant que grosse masse, de pierre et de granit, qui nous fait face, et avec laquelle on vit une expérience qui est toujours exceptionnelle.
Vous décrivez souvent l’importance du vide chez les alpinistes, quel est son rôle ?
Le vide est omniprésent chez tous les grimpeurs. Quand c’est vertigineux, au milieu d’une paroi très raide et surplombante, on dit qu’il y a du gaz. S’élever dans le vide est un sentiment très puissant, comme si on s’envolait dans les airs. Ce sentiment est aussi très lié aux recherches spirituelles, au vide en soi. Derrière
tout ça, il y a cette vieille idée qu’on retrouve dans tout texte qui porte sur la méditation et la spiritualité, et qui relie la recherche du vide à l’ouverture totale sur le monde. Celui qui médite, à un moment donné ne peut plus faire la différence entre ce qui lui est intérieur et ce qui lui est extérieur. Or, quand on grimpe, on accède parfois à ces états de grâce, où on se retrouve dans cet état d’esprit où il n’y a plus de limites entre soi et le monde, une sorte de communion totale avec les éléments.
Dans vos nouvelles, vous comparez souvent l’alpi- nisme à un art, une forme de création ?
Oui, parce que celui qui crée une nouvelle voie sur une paroi est exactement comme le peintre en train de réaliser son tableau ou le musicien en train de composer. Il crée à partir des prises qu’il voit sur le rocher. En imaginant une voie, il crée une œuvre qu’il lègue ensuite aux autres.
Comme en musique, il y a de grands compositeurs et de grands interprètes en escalade.
En imaginant le Mythe de Kowapi, vous définissez l’alpinisme comme un art de la transgression et de la désobéissance ? Faut-il toujours réinventer une manière d’escalader la montagne ?
S’il reste encore quelques voies à tracer dans les Alpes ou les Pyrénées, les jeunes qui veulent en ouvrir de
52 Rebelle-Santé N° 207
Illustration © J.-M. Rochette