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RENCONTRE
Àla fin des années 1970, des vergers conser- locaux sur une zone qui va de Montargis à Charny
vatoires sont créés sur tout le territoire pour
sauvegarder des variétés fruitières locales menacées de disparition. Gardiens d’un patrimoine naturel menacé, ces vergers ont un rôle clé à jouer pour la restauration de la biodiversité, mais ils ont aussi besoin d’être soutenus et entretenus.
Terres de poires et de pommes, peut-on seulement imaginer ce que représentait la production fruitière dans le Loiret avant la seconde guerre mondiale ? Les 200 000 quintaux de fruits récoltés dans la région étaient consommés en majorité localement et trans- formés dans les 80 cidreries des environs.
À Château-Renard, la cidrerie Larousse brassait jusqu’à 8000 tonnes de fruits par an. Elle a fermé en 1977. Dans les fermes vidées de leur main-d’œuvre, les presseurs ambulants ne passent plus : il n’en reste qu’un, de même qu’il ne reste plus que quatre pro- ducteurs de fruits sur ce territoire. « C’était une autre époque. Pour des travaux de force comme ceux des champs, il fallait mouiller. C’était la règle, et on pouvait compter cinq litres de cidre par jour et par personne. Il n’y avait pas non plus de campagne de prévention contre l’alcool, mais comme on se déplaçait surtout à vélo, ça limitait les accidents ! », explique Daniel Bézy, le responsable de l’entretien du verger conservatoire. Originaire de la commune, fils d’agriculteur, cet élec- tricien à la retraite a commencé à s'occuper du verger du temps de Robert Harry avant de lui succéder. Béné- vole depuis toujours, passeur conscient des enjeux de conservation et de transmission qui se jouent dans cet îlot conservatoire, il voit dans ce verger son engage- ment pour les générations futures : « Je crois que si vous n’avez pas la conviction de faire quelque chose d’utile pour ceux qui viennent après, c’est pas la peine de le faire », résume-t-il avec philosophie.
CONSERVER LE PATRIMOINE NATUREL
Face au remembrement et à l’abattage massif des arbres pour permettre le regroupement des parcelles et faciliter les grands rendements de la monocul- ture, à Château-Renard, certains ont tout de suite pris conscience de la valeur du patrimoine qu’on allait détruire.
Pierre Chesnaux, un agriculteur qui produisait du cidre et du vinaigre, a incité le syndicat d’initiative et la commune à mettre à disposition deux parcelles récupérées sur des terres d’une ancienne ferme. L’étude pour déterminer la composition du verger a été confiée à Jean Sift, un ingénieur agronome pas- sionné, qui enseignait au lycée professionnel du Chesnoy, tout près. Le verger est planté en 1985. On y trouve une soixantaine de pommiers et plus haut, une quarantaine de poiriers, tous greffés à partir d’arbres
et de Châtillon-Coligny à Courtenay. Sur le plan, les noms font rêver. Si un connaisseur peut reconnaître des familles comme les Locards ou les Sébins, d’autres variétés non identifiées ont pris le nom qu’on leur a donné, selon le lieu-dit où les arbres ont été plantés, ou celui de la personne chez qui l’arbre poussait. On retrouvera ainsi les arbres de Monsieur Rose, ceux de Titine ou d’Auguste André. L'histoire de ces variétés se raconte à l'échelle humaine des pratiques paysannes.
ENTRETENIR LE VERGER
À l’entrée du village, en bordure de route et entre deux champs ouverts, le verger témoigne d’un patrimoine précieux mais fragile et toujours menacé, inséré dans un décor qui, pour ne pas être la Beauce, reste un paysage redessiné par le remembrement, sculpté par les machines, déserté par les humains : difficile de se remémorer le bocage, les prairies arborées.
Cette année, le printemps a été généreux. Sur certains arbres, le poids des fruits menace des branches étayées par précaution. Daniel Bézy veille. À lui de déceler les fragilités, d’anticiper si l’arbre risque de mourir, de sa- voir comment le remplacer. L’hiver, il vient couper le gui. L’été, la municipalité s’occupe de tondre. Pour lui, le manque d’eau reste la problématique la plus préoc- cupante. La terre éprouve la canicule du mois d’août, la sécheresse pour la troisième année consécutive attaque les racines. Les coups de soleil ont brûlé les joues des pommes et les arbres assoiffés luttent pour survivre, en se délestant d’une grande partie de leurs fruits encore verts qui tapissent le sol, au milieu des mouches, des guêpes et des frelons. « La commune n’a pas beaucoup de moyens à donner au verger et il est devenu très difficile de trouver des bonnes volontés pour s’occuper des arbres bénévolement. C’est tou- jours le même problème, on voudrait planter plus de vergers, mais qui va s’occuper de l’entretien, rémuné- rer l’ouvrier ? », déplore-t-il.
POMMES À CIDRE ET POMMES DE FER
La culture des pommes et des poires est très ancienne, et il est souvent impossible de remonter l’historique d’une variété jusqu’au pépin d’origine tant les arbres ont été greffés et reproduits au gré des brassages et au fil des siècles.
Aujourd’hui, les habitudes ont changé. On peut se réjouir de la baisse de consommation de cidre pour la santé publique, mais il est aussi devenu plus facile d’acheter une bouteille de jus de pommes ou sa compote chez l’épicier que de faire quelque chose de ses pommiers. Une dizaine de variétés de pommes seulement se sont imposées dans les supermarchés, des espèces importées davantage conformes à la
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