Page 43 - Rebelle-Santé n° 222
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CULTURE ET SOCIÉTÉ
  Fascinante Mélusine. La fée à la queue de serpent est un personnage emblématique de la France médiévale dont la légende a été fixée à la fin du XIVe siècle dans le Poitou. Une exposition lui rend hommage jusqu’au 1er mars à l’Historial de la Vendée. Dépoussiéré, le mythe revit dans toute son actualité.
Il était une fois Mélusine. La légende telle que nous la connaissons, inspirée par des traditions orales et celtiques, nous vient de la fin du Moyen Âge. Elle
a été fixée pour la première fois en prose par Jean d’Arras, autour de 1390, commandée par le Duc de Berry, transposée ensuite en vers par Coudrette à la demande de Guillaume VII, archevêque, seigneur de Parthenay. Ces livres devenus best-sellers à leur époque ont assuré la prospérité de la fée dans l'Europe entière. Jean d’Arras, quant à lui, répondait d’abord à une commande politique et esthétique, dans le contexte de la guerre de Cent Ans, pour asseoir la légitimité d’un duc, grand mécène de l’époque, qui souhaitait affirmer son autorité sur Lusignan et établir pour sa lignée une ascendance merveilleuse. Aujourd’hui, le souvenir de la fée hante le folklore vendéen. Mais le mythe de la femme-serpent révèle surtout des valeurs transmises au fil des siècles sur la conception du féminin, qui questionnent encore les débats contemporains à la fois politiques, spirituels et philosophiques, sur le corps et sur l’écologie.
Et vous, quelle Mélusine êtes-vous ?
LA FAUTE DES MARIS
Dans la légende racontée par Jean d’Arras, il est dit que Mélusine a été maudite par sa propre mère, la fée Présine, après avoir décidé avec ses sœurs, Mélior et Palestine, de la venger en enfermant leur père Eli- nas, roi d’Écosse, dans une montagne où il a fini par mourir. L’idée revenait à Mélusine, la plus sévèrement punie par sa mère pourtant victime de son époux mor- tel et indiscret.
Car l’histoire se répète dans la famille de Mélusine. Alors qu’Elinas avait promis de ne pas aller voir Pré- sine pendant ses couches (ses règles), il a fini par le faire et Présine s’exila avec ses trois filles.
Après avoir puni son père, Mélusine fut condamnée à son tour, par sa propre mère, à errer sans repos, jusqu’à trouver un mortel qui saurait l’aimer, qui l’épouserait, mais qui devrait également faire le serment de ne pas chercher à la voir tous les samedis, le jour où ses jambes se transforment en queue de serpent.
Exilée en Poitou, la belle est accompagnée de deux autres demoiselles quand elle rencontre, dans une forêt près d’une fontaine, le beau Raymondin, neveu
du comte de Poitiers, qui vient malencontreusement de tuer son oncle au cours d’une chasse au sanglier. Raymondin tombe immédiatement amoureux de la fée et accepte le pacte de Mélusine qui, de son côté, l’aide à l’innocenter du meurtre de son oncle.
Les noces célébrées, la fée fait pousser abbayes et for- teresses et donne naissance à dix fils, tous en bonne santé. Chacun porte pourtant une marque de sa surhu- manité : l’un est cyclope, l’autre a trois yeux, le troi- sième a une oreille plus grande que l’autre... tandis que Geoffroy à la Grande Dent, le plus connu d’entre eux, naît avec une défense de sanglier. Rabelais en a d’ailleurs fait l’ancêtre de Pantagruel.
Tout va bien dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce jour où le frère de Raymondin, perfide et jaloux, insi- nue le doute dans la tête du mari, qui décide d’épier sa femme malgré tout, le samedi, alors qu’elle prend son bain dans la tour qu’elle a elle-même construite pour s’isoler. En voyant la queue de serpent de sa femme, le mari est pris de remords mais choisit de garder le secret, jusqu’au jour où Geoffroy à la Grande Dent s’attaque à un de ses frères en incendiant un monas- tère. Raymondin, ayant accusé sa femme pour cette catastrophe, lui avoue qu’il a vu sa queue de serpent. Mélusine, en colère, se transforme toute entière en serpent et s’envole par la fenêtre en poussant des cris et en détruisant au passage tout ce qu’elle avait bâti. Néanmoins, la fée continue jusqu’à ce jour à veil- ler sur sa descendance. Il paraît qu’on l’entend crier chaque fois que la mort s’approche d’un des membres de sa lignée. Dans d’autres versions plus courtes, Ray- mondin pousse un cri quand il la surprend au bain, et elle s’envole à ce moment-là.
AU PAYS DES MERVEILLES
Le nom de Mélusine signifie « merveille » au Moyen Âge. Dans notre époque rationaliste, le merveilleux est assimilé aux légendes, à ce qui n’existe pas, cari- caturé par nos représentations des gnomes et des fées. Or, le merveilleux est par définition ce qui dépasse l’entendement humain, l’autre monde, l’inexplicable. Étymologiquement, mirari en latin désigne tout ce qui suscite l’étonnement. La tradition chrétienne viendra ensuite distinguer le magicus, magique qui est le plus souvent diabolique, du miraculus, surnaturel divin.
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