Page 92 - Rebelle-Santé n° 202
P. 92

ÉCOlOgiE pRaTiquE
CulTuRE
Kirghizistan : d'Osh à Bishkek
courais déjà tous les jours, j’ai pris mon sac à dos pour un tour d’Europe. Au départ, je m’étais engagé à faire un marathon par jour. Un esprit de performance que j’ai vite abandonné en passant ma première frontière, en Espagne, après trois jours de voyage. Je dormais à même le sol, sans tente, ni sac de couchage. Au petit matin, je me suis réveillé dans la montagne, avec le chant des oiseaux, je me suis lavé dans le torrent et j’ai rejoint en courant un village voisin pour prendre un café. À la terrasse, j’observais le mouvement des gens pressés d’aller travailler ou de faire leurs courses alors que j’étais libre de rester là le temps que je voulais. C’était magique. J’étais libre et libéré de tout objectif kilométrique. J’ai couru pendant seize mois et demi, parcouru 18 260 km et traversé 32 pays d’Europe. Au retour, je n’avais plus qu’une idée en tête : repartir pour le tour du monde.
C’était le début de la grande aventure ?
L’aventure, c’est surtout des rencontres. Lors de ce premier voyage, je me souviens, en Albanie – le pays venait à peine de s’ouvrir – , je courais vers Tirana, la capitale, quand j’aperçois un berger qui me fait signe au loin. Je l’attends. Il me rejoint et me fait comprendre qu’il veut courir avec moi. il n’arrêtait pas de parler et je ne comprenais rien de ce qu’il racontait. Je me suis dit qu’il s’arrêterait au bout d’un ou deux kilomètres, mais il m’a suivi sur près de 30 kilomètres, jusqu’à la ville où j’ai compris qu’il voulait se rendre au consu- lat de France pour obtenir un visa et quitter son pays. Même s’il a été refoulé, il n’avait pas l’air trop déçu et il est reparti. J’aurais aimé en savoir plus. J’étais stupé- fait. On lui aurait donné le visa, il partait sur le champ, en plaquant tout pour saisir une opportunité. Pour moi, le voyage, c’est ça, des rencontres imprévues
44	Rebelle-Santé N° 202
et fascinantes. Aujourd’hui, avec le développement d’internet, lorsqu’on voyage, on sait déjà à l’avance pas mal de choses sur les zones qu’on traverse. Même si c’est très pratique, lors de mes premiers voyages, je ne savais jamais ce que j’allais voir ou comment j’allais gérer les formalités, j’étais finalement plus dans le moment présent. Si bien que maintenant, lorsque j’ai trop anticipé par la pensée l’endroit où je veux aller, je change complètement d’itinéraire justement pour ne pas trop en savoir. C’est important de garder un peu de surprise.
Pourquoi avoir adopté le vélo ?
Tout simplement pour avoir un peu plus d’autonomie (nourriture, réserve d’eau, toile de tente, ustensiles de cuisine...). Le cyclisme n’est pas une passion au départ, mais, avec du recul, je trouve que c’est un véhicule extraordinaire, pour emporter le nécessaire. J’ai le même vélo depuis douze ans et j’en suis très content. Il a été fait par un artisan parisien, Rando- cycles. Il est basique, solide, lourd mais résistant, car je lui demande de porter énormément de charges. Alors que d’autres voyagent plus léger, entre mon vélo et mes bagages, je monte entre 70 et 80 kilos de charge. Pour moi, c’est le prix de ma liberté. Si je suis dans un pays chaud, je trimballe aussi un équipement pour le froid, car je veux pouvoir à tout moment changer d’itinéraire, je reste ainsi ouvert à toutes les possibili- tés. C’est très important. Au début, j’avais peur du vol. Jusqu’à ce qu’en Bosnie je laisse un jeune essayer mon vélo. Le pays sortait de la guerre, et j’ai pris le risque en le voyant partir avec toutes mes affaires dans une petite rue. J’ai attendu cinq minutes, un quart d’heure, une demi-heure, si bien que j’étais persuadé d’avoir tout perdu. Je l’ai finalement vu revenir avec un grand


































































































   90   91   92   93   94