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RENCONTRE
sourire un peu plus tard. En réalité, il m’a rendu un très grand service. Car, à partir de ce jour, même si ça n’est jamais arrivé, je me suis fait à l’idée qu’on peut me voler mon vélo un jour. Je suis plus détendu, il y a des choses plus graves sur terre et je voyage plus léger !
Votre quête de la liberté est aussi une quête d’authenticité, un retour à l’essentiel. Après toutes ces années, alors que je vis avec très peu, je me rends compte que je n’ai jamais été aussi heureux. Tout ce que je possède est sur mon vélo et je m’amuse en regardant des photos anciennes, en constatant que j’ai toujours la même tenue vestimen- taire. Si je passe des jours à me laver dans des rivières, lorsque je peux profiter d’une vraie douche chaude, c’est un vrai bonheur. Pourtant, j’arrive à vivre sans. Si je ne nie pas qu’il faille posséder un minimum, le surplus au niveau matériel n’apporte qu’une illusion du bonheur. Souvent, d’ailleurs, quand on a trop, on ne se rend pas compte de la valeur des choses. C’est ce dénuement que j’aime dans le voyage.
Dans vos bagages, vous emmenez toujours le strict nécessaire et des livres. Quand je pars le matin, j’aime ne jamais savoir où je vais dormir le soir. En revanche, je m’offre le luxe de bien choisir l’endroit. Je m’arrête toujours relativement tôt dans la journée pour avoir le temps d’organiser mon campement. Pour moi, le bivouac est un plaisir. J’arrive quand il fait jour, je plante ma tente, je fais un feu, je mange et j’écris mon carnet de route, puis je regarde le coucher de soleil et l’horizon. Je n’ai pas de technique de méditation, mais ça s’apparente à cela. C’est quelque chose de très apaisant quand j’observe la nature autour de moi, assis et en paix. Lorsqu’il fait nuit, couché dans ma tente, je lis avant de m’endormir. En hiver, je passe beaucoup d’heures sous ma toile de tente. Lire est un besoin. Quand je n’ai pas accès aux livres, c’est une grande frustration. Je lis très bien en espagnol et en portugais, mais, en anglais, je manque de vocabulaire. Aujourd’hui, grâce au kindle, je peux télécharger des livres, et lire selon mes envies sur le parcours. C’est un vrai changement. J’adapte mes lectures à mes voyages. En Amérique du Sud, j’avais adoré lire Luis Sepúlveda ou Francisco Coloane. J’aime des écrivains comme Bruce Chatwin ou Jack London, mais aussi d’autres auteurs qui ne sont pas forcément des voyageurs comme Dominique Lapierre (La cité de la joie). Actuellement, je lis Limonov d’Emmanuel Carrère.
Voyagez-vous toujours en solitaire ?
Par choix, oui. Ce n’est pas pesant. Autour de nous, il y a des gens qui semblent entourés, mais qui sont en réalité terriblement seuls. C’est une détresse qui me touche beaucoup. Ma solitude à moi n’est pas pesante,
Lesotho : de Molumong à Thaba Tseka
au contraire. Car, si je voyage en solitaire, c’est en réa- lité pour ne pas être seul. À deux, les gens n’osent pas vous aborder tandis que, pour faire des rencontres, il me suffit de m’installer dans un café. Mon vélo exerce une attraction et je ne passe pas inaperçu. On vient plus facilement me parler.
Vous aimez aussi vous retrouver dans la nature.
De plus en plus. Je choisis mes bivouacs en fonction des paysages. C’est un vrai privilège de camper dans des endroits magnifiques. Avec la fatigue physique, les émotions sont à fleur de peau, et il m’est arrivé de pleurer face à un panorama. Je voudrais parfois pouvoir partager ces sensations avec les gens que j’aime. Mais j’aurai beau écrire des descriptions les plus précises possibles, prendre de belles photos, il faut y être. Avant, quand je travaillais dans mon bureau, je faisais beaucoup d’allergies, j’étais souvent malade. Depuis que je voyage, plus rien, ça a complètement disparu. Physiquement, je me sens beaucoup mieux, je n’ai jamais de problème de santé et je crois fermement que c’était lié au stress. De plus, le vélo permet de s’imprégner de cette nature, d’avoir tous ses sens en alerte. J’ai été émerveillé du calme sur les routes et les pistes, en Asie centrale, au Tadjikistan et au Kirghizistan, j’avais l’impression de faire partie de cette nature. Je peux entendre les sons, sentir les odeurs. Je ne voudrais surtout pas rouler avec de la musique, par exemple, il me faut le son de mon voyage. Je n’envie pas non plus les gens qui arrivent avec des bus climatisés dans un endroit désertique. Il faut ressentir la chaleur, si on traverse le désert. De même, le vélo oblige à une certaine lenteur qui permet d’apprécier les distances.
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