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SOCIÉTÉ
QUOI DANS MON ASSIETTE ?
Un blog pour apprendre à décrypter les études scientifiques
Thibault Fiolet a 26 ans. Ce jeune chercheur double diplômé de l’école d’ingénieurs AgroParisTech et de l’Université Paris-Sud prépare actuellement une thèse en santé publique sur les POP, les « Polluants Orga- niques Persistants » définis lors de la Convention de Stockholm en 2001. Il travaille notamment sur l’éva- luation de leur présence dans la chaîne des denrées alimentaires et sur les risques de mortalité et de cancer. Parallèlement, il anime depuis 2016, le blog « Quoi dans mon assiette », où il écrit des articles et réalise des vidéos sur l’alimentation, la santé, l’environne- ment ou l’agriculture, en s’appuyant toujours sur le décryptage des études scientifiques récentes.
Avec l’arrivée du Coronavirus, il a publié « Un kit de survie », une synthèse très bien faite, basée sur les dif- férentes études parues dans le monde entier depuis le début de l’épidémie. Une somme d’informations sa- luée par d’autres chercheurs qui s’en servent comme d’une bibliographie, mais aussi une mine très acces- sible au grand public.
Rebelle-Santé :
En quoi vous êtes-vous senti légitime pour entreprendre cette synthèse sur le SRAS-CoV-2 ?
Thibault Fiolet :
De par ma formation, je suis spécialisé en nutrition, évaluation de risques sanitaires et épidémiologie. Il me paraît important d’expliquer quelles sont les diffé- rentes techniques pour modéliser les épidémies, afin de réaliser que les facteurs à étudier ne se résument pas à compter le nombre de cas et de décès chaque jour. Sur le Covid-19 comme sur d’autres sujets, je centralise concrètement les connaissances scienti- fiques dont on dispose pour proposer des synthèses de connaissances. Quand j'ai ouvert mon blog en 2016, c’était en réaction à ce que je pouvais lire à droite à gauche sur internet, c’est-à-dire tout et n’importe quoi. L’alimentation et la santé nous concernent tous et tout le monde a évidemment son avis sur la question. Mais dans la cacophonie du web, il est parfois difficile de faire la part des choses entre les témoignages et les croyances personnelles qu’on généralise, et ce qui est réellement prouvé scientifiquement. Sur mon blog, je me focalise sur l’approche scientifique en fournissant toutes les sources de mes informations. C’est pour- quoi, dans tous les articles que je publie, je mets les liens vers les publications scientifiques originales ou
vers les rapports de l’ANSES (l’Agence nationale de sé- curité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail). Il est fondamental que le lecteur puisse toujours avoir accès à cette information première. La plupart des blogs et même la presse généraliste parlent trop souvent d’études scientifiques sans indiquer d’où elles sortent, dans quelles conditions elles ont été réa- lisées et leurs limites. Or, scientifiquement, toutes les études ne se valent pas.
Votre première synthèse sur le Covid-19 date du 19 mars. Elle a depuis été mise à jour. C’est un tra- vail impressionnant, comment avez-vous procédé pour traiter l’afflux continu d’informations ?
On est tous impactés par la pandémie. Des équipes de chercheurs du monde entier travaillent sur le sujet en même temps. En quatre mois, près de 5000 publi- cations scientifiques sont déjà sorties. C’est énorme ! Je n’ai jamais vu ça : un phénomène nouveau. C’est intellectuellement très stimulant de voir des équipes, qui d’ordinaire ont plutôt tendance à protéger leur travail, partager les données ou encore des pro- grammes pour faire de la modélisation. Plusieurs revues scientifiques ont mis en ligne gratuitement les publications sur le Coronavirus.
De mon côté, en proposant une approche synthé- tique, je voulais guider le public à travers la masse d’infos, clarifier l’état des connaissances scientifiques au fur et à mesure. C’est pourquoi j’ai opté pour une présentation en PowerPoint, sous la forme de fiches de questions/réponses, à partir des publications que j’ai pour la plupart traduites en français, avec évi- demment toujours les liens vers les publications que je cite.
Qu’est-ce qui détermine la fiabilité d’une étude scientifique ?
En premier lieu, le niveau de preuves. Plus une étude a de biais, de manque de mesures, ou d’éléments non justifiés, moins on peut y croire. Prendre en compte les limites d’une étude et montrer comment ça a été fait permet d’évaluer tous ces biais. Il y a
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