Page 92 - Rebelle-Santé n° 200
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ÉDUCATION CUlTUre
Au centre, un varroa s'attaque à une larve
beaucoup dans la recherche fondamentale, or, en tant que spécialiste de l’écologie chimique, j’avais déjà mis en évidence des communications chimiques par l’in- termédiaire de phéromones à l’intérieur du couvain, un sujet porteur pour l’INRA qui souhaitait continuer ces travaux. Même si aujourd’hui, face à la demande, on s’engage de plus en plus vers des recherches appli- quées, tous ces aspects de la recherche fondamentale ne sont jamais complètement abandonnés.
En plus d’être spécialiste des pathologies qui menacent les abeilles, comme le varroa, vous avez aussi travaillé sur la communication chimique des abeilles ?
Tout à fait. J’ai notamment étudié les phéromones émises par les larves à l’intérieur du couvain. Les insectes sociaux (les abeilles, les fourmis, les ter- mites...) ont évolué vers une complète dépendance des larves vis-à-vis des ouvrières nourrices dans les colonies. C’est simple, s’il n’y a plus de nourrices pour s’occuper d’elles, les larves meurent. On a ainsi mis en évidence un bouquet de molécules émises par les larves en fonction de leur âge, qui renseigne les nourrices sur leurs besoins tout au long de leur dé- veloppement jusqu’à ce qu’elles puissent naître de l’alvéole. Certaines de ces molécules agissent direc- tement sur les nourrices et stimulent leurs glandes hy- popharyngiennes, qui produisent notamment la gelée royale donnée aux larves les premiers jours pour les ouvrières, puis tout au long de leur développement pour les futures reines. C’est un peu comme chez les mammifères, quand un bébé naît, il émet un certain nombre de stimuli, (tactiles, odorants ou vibratoires, comme des cris, par exemple) qui stimulent la lacta- tion de la mère et bloquent son ovulation. Une larve d’abeille fait la même chose avec ces molécules, en manipulant les nourrices, elle bloque notamment leurs
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ovaires, qui pourraient se mettre à pondre des œufs non fécondés de larves mâles. Les larves émettent aus- si une molécule qui empêche les abeilles d’aller buti- ner. Généralement, l’abeille devient butineuse quand elle a environ 21 jours. En collaborant à un projet de recherches américain qui s’intéressait à la division des tâches dans la colonie, nous avons montré comment les butineuses avaient également le pouvoir d’empê- cher les nourrices de devenir butineuses à leur tour. C’est tout à fait fascinant. Ainsi, au sein de la colo- nie, à commencer par la reine, tout le monde commu- nique et manipule chimiquement tout le monde, pour réguler les équilibres vitaux de la ruche.
Pourquoi écrire une BD sur les abeilles ?
À vrai dire, je ne connais pas grand-chose à la bande dessinée. Lorsque les éditions du Lombard m’ont contacté pour faire cet album pour la Petite Bédé- thèque des Savoirs, je me suis simplement laissé convaincre car ce sont des gens charmants, intelli- gents et cultivés. Ils m’ont envoyé un exemplaire de l’album sur les requins qu’ils avaient déjà réalisé dans la même veine et je l’ai trouvé sérieux et très bien fait. Il s’agit à chaque fois d’associer un scientifique ou un spécialiste d’un domaine avec un dessinateur de BD. Séduit par cette approche, lorsqu’on m’a proposé de faire un album sur les abeilles avec Jean Solé, j’ai ac- cepté. Pendant quinze ans, j’avais, pour financer ma thèse, enseigné de la Sixième au BTS. C’est notre rôle aussi à L’INRA de partager nos connaissances.
Le courant est vite passé avec Jean, lui-même apicul- teur amateur. Même si je ne connaissais pas du tout son travail et qu’il s’agit de deux mondes très diffé- rents, j’ai beaucoup aimé cette aventure. Au début, j’ai trouvé le style assez surprenant. Il y a une fantaisie qui nous manque en science. Le résultat final est très réussi.
C’est en effet un ouvrage très complet, composé en deux parties : une première rappelle ce que sont les abeilles, tandis que la deuxième insiste sur l’objectif principal de ce livre « d’alerter sur le péril qui pèse sur les abeilles ».
Nous ne pouvons pas prendre conscience des dan- gers qui menacent les abeilles sans les connaître et comprendre leur rôle dans l’environnement. Les deux parties sont donc complémentaires. De même qu’il est important d’insister sur le fait qu’il existe près de 20 000 espèces d’abeilles en plus de l’abeille domes- tique, l’Apis mellifera européenne, productrice de miel qu’on trouve dans nos ruches. La plupart de ces abeilles sont sauvages, elles peuvent être solitaires ou sociales comme les bourdons. Toutes jouent un rôle dans leurs écosystèmes tout aussi fondamental pour
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