Page 93 - Rebelle-Santé n° 193
P. 93
MÉDECINE D'HIER ET D'AUJOURD'HUI
Rebelle-Santé N° 193 93
l’amnésie et l’inconscience. C’est pourquoi le chirurgien Velpeau, connu pour ses bandes, ne croyait pas en ce « Graal » médical, et écrivait encore en 1839 : « Éviter la douleur dans les opérations est une chimère qu’il n’est pas pos- sible de poursuivre aujourd’hui ».
Les premières pratiques analgésiques
Il faut distinguer l’analgésie, qui permet d’atténuer la sensibilité à la douleur, de l’anesthésie, qui per- met un endormissement total de la capacité de perception nerveuse. L’analgésie, telle qu'on a pu la pra- tiquer jusqu'au XXe siècle, limite la chirurgie à des opérations simples dont le succès est avant tout ga- ranti par la rapidité et l’adresse du chirurgien, qui pratique sur un patient plus ou moins conscient et solidement attaché.
Pour soulager la douleur lors des amputations, Aristote préconi- sait la compression artérielle au moyen d’un garrot.
Ambroise Paré, au XVIe siècle, per- fectionne l’outil pour compresser aussi les nerfs, endormant méca- niquement la sensation.
On utilisait le froid également lors des opérations dans les armées napoléoniennes, tandis que le
médecin arabe, Ibn al-Baytar, au XIIIe siècle, le préconisait pour les douleurs dentaires.
D’autres pratiques ont été mises au point, comme l’acupuncture dans la médecine chinoise.
Le mesmérisme, sur les thèses de Franz Anton Mesmer, à la fin du XVIIIe siècle, envisage le magné- tisme et l’hypnose.
Parallèlement, l’usage des plantes est attesté depuis des millénaires, comme le pavot ou le cannabis en Chine (mentionnés dans l’herbier de Shen Nung, vers 2700 avant J.-C.), mais aussi la feuille de coca en Amérique du Sud, ou encore la ciguë, des solanacées comme la datura et la belladone, la man- dragore, la laitue ou la jusquiame. Ces plantes toxiques, bien dosées et administrées sous la forme de breuvages ou inhalées, pou- vaient se révéler plus efficaces que l’alcool, autre palliatif commun.
Dans l’Antiquité, les médecins égyptiens et romains avaient mis au point des éponges imbibées, une technique reprise et perfec- tionnée dans la tradition arabe, qui permettaient d’endormir (à base de narcotique), de réveiller (à base de vinaigre) et même, appliquées à des endroits précis, de provoquer une analgésie locale. Les éponges se diffusèrent en Europe dans les monastères.
De l’alchimie à la chimie, l’anesthésie par asphyxie
L’anesthésie moderne est née de la chimie. Dès l’Antiquité, les alchi- mistes ont distillé les premières liqueurs volatiles, en particulier l’alcool et sans doute l’éther, mais sans transmettre la formule.
Ce n’est que Paracelse, au XVIe siècle, qui donne la recette de l’éther en mélangeant du vi- triol (acide sulfurique) avec de l’alcool. La chimie reste toutefois en dehors des opérations médi- cales.
Masque à chloroforme
Joseph Priestley, au XVIIIe siècle, en Angleterre, fut accusé de sor- cellerie et contraint d’interrompre ses recherches alors qu'il avait découvert le protoxyde d’azote, surnommé « gaz hilarant », dont la valeur médicale resta ignorée, le confinant à un usage unique- ment récréatif dans les décennies qui suivirent.
Il faut attendre Michael Faraday, en 1818, pour envisager la valeur nar- cotique de l’éther. Le chloroforme est, quant à lui, mis au point au début du XIXe siècle, époque où Henry Hill Hickman, complètement fourvoyé, expérimente l’anesthésie au dioxyde de carbone et asphyxie ainsi de nombreux animaux.
Finalement, c’est un médecin de campagne américain discret, Crawford William Long, qui réa- lise, en 1842, la première anes- thésie à l’éther. Il ne publie pour- tant pas sa découverte.
Horace Wells, un dentiste, eut l’idée de se faire arracher une dent en inhalant lui-même du protoxyde d’azote en 1844. Fort de son succès, il administre le gaz aux patients dans son cabi- net, validant son expérience, mais échoue, probablement à cause d’un matériel défectueux, lors de sa présentation officielle. Il se sui- cide en 1848.
William Thomas Green Morton, témoin de l’échec de Wells et lui aussi dentiste, réalise la première
Suite p. 94
© cuhle-fotos - Fotolia.com
© petrsalinger - Fotolia.com