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la chronique de pinar
par cet homme, violentée. Avant ce mariage, grâce au soutien de ses professeurs, de sa tante et de sa mère, elle avait pourtant réussi à continuer ses études. Elle avait va- lidé sa maîtrise de Mathématiques appliquées et suivi une formation en informatique. Elle était détermi- née à s’instruire : « Je voulais être une femme qui réfléchit » dit-elle. Mais non. Son père, effrayé par la détermination de sa fille, a décidé d’intervenir « pour l’honneur de la famille ». Un soir, rentrant chez elle, elle se retrouve au milieu d’une cérémonie. Surprise, elle ar- rive au milieu d’une fête qui n’est autre que son mariage. Son père ne lui laisse aucun choix : « C’est moi qui décide, toi tu obéis. » Elle a 26 ans. Elle veut continuer ses études, elle est déjà inscrite en master dans son domaine. Sa révolte et ses pleurs n’y changent rien : elle est mariée de force avec un homme de 76 ans, commerçant du quartier qu’elle connaît depuis son enfance : « C’était un grand- père pour moi. » Elle pleure, elle supplie son père, lui explique en- core une fois combien il est impor- tant pour elle de faire des études et comment elle s’est battue pour obtenir son diplôme. Elle pleure tout au long de la cérémonie.
Son mari, commerçant de 76 ans, a déjà deux femmes. Elle est vio- lée par cet homme dès la première nuit, puis traitée comme l’esclave de la maison, battue, torturée quand elle ne se soumet pas. Elle découvre que les rituels familiaux de son pays le dominent telle une forteresse. Épuisée par la violence quotidienne, elle ne baisse pour- tant pas les bras et sa volonté de s’émanciper lui donne la force d’envisager de passer les fron- tières : « Aller assez loin pour qu’ils ne puissent plus me toucher » et « trouver un pays qui respecte les droits des femmes ». Elle veut ve- nir en France, car elle est franco- phone et elle pense que, dans ce pays, elle sera protégée et soignée. Elle ne sait pas encore de quoi est
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jalonné le parcours de l’exil quand on est une femme. SANS NOM a eu le courage de fuir le cauchemar pour venir en France et traversé des épreuves qu’elle n’aurait pas imaginées : violence, viol et torture parsèment le che- min. Mais elle avance, persuadée qu’au bout de la route se trouve un refuge dans lequel son corps blessé sera libre et protégé.
Pourtant, sa demande d’asile est refusée. Elle est déboutée, car elle ne peut pas prouver toutes les violences qu’elle a subies. Les persécutions dont les femmes sont victimes sont souvent difficiles à prouver. Comment montrer, par l’exposition de traces matérielles, et démontrer, par l’organisation du récit, que l’on est une personne en danger ? Comment démontrer le besoin de protection à partir d’un récit incroyable ?
Elle a un certificat d’examen mé- dical gynécologique qui prouve qu’elle a subi une mutilation sexuelle. Mais cela ne sert à rien. Une femme peut demander le sta- tut de réfugiée quand elle redoute l’excision en cas de retour au pays d’origine. Mais si elle a déjà été excisée, on considère qu’il n’y a plus aucun danger de retour. Selon
les décideurs, la persécution se limite à l’acte en lui-même. Outre les risques que court la jeune femme à retourner vers une vie de prisonnière violentée, ce point de vue nie que le trauma produit au moment de la mutilation ne s’arrête pas avec la cicatrisation de la plaie, mais peut continuer à se répercuter dans le corps et le psy- chisme de la femme. C’est le cas pour SANS NOM. Elle a besoin de soins. Son corps et son état psycho- traumatique nécessitent un suivi approprié. SANS NOM, comme tout le monde, devrait avoir le droit d’être soignée. Pourtant son statut juridique, ses difficultés matérielles, autrement dit le non- accueil de la France, l’empêchent d’accéder à la santé. Comme tout le monde, elle devrait aussi avoir le droit de poursuivre ses études et d’être, comme elle le dit, « une femme qui réfléchit ». Tout cela lui est refusé, aujourd’hui, en 2018, par notre pays, celui que l’on appelle « pays des droits de l’Homme ».
nous sommes là...
SANS NOM est en danger d’extra- dition vers la Guinée. Comment renvoyer cette jeune femme dans un pays où l’absence de protec- tion de l’État est évidente ? De ce qu’elle a vécu jusque-là, elle dit : « Tout cela me tue dans mon corps. Je ne veux pas en parler. Je veux passer à autre chose. » Elle a besoin de se poser pour supporter le passé. Elle a besoin de se sen- tir libre et protégée pour envisager l’avenir. Mais elle est dans une si- tuation de non-droit. Elle n’a même pas de nom.
Mais elle n’est pas seule. Autour d’elle, nous réfléchissons au moyen de faire revenir les autorités sur leur décision. Bientôt, nous allons lan- cer une campagne de soutien, pour elle et pour d’autres femmes qui ont besoin de la même protection.
Je vous tiendrai au courant !
Pınar Selek


































































































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