Page 20 - L'AVENTURE DE JABER
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L’Aventure de Jaber
JABER. - Le califat et le vizirat ensemble : face, c’est le calife et pile, le vizir. Tous les deux sont dans cette piastre. Parions sur le gagnant. (Il lance la piastre en l’air, l’attrape et la cache dans la paume des mains.) Que choisis-tu ? Pile ou face ? Le calife ou le vizir ? Vas-y, choisis l’un des deux côtés. L’État tout entier se trouve dans cette piastre. Le calife ou le vizir. (Un instant.) Je crois que tu vas dire le calife.
MANSOUR, entrainé à son insu par Jaber ; il est surpris par cette phrase. - Qu’est-ce qui te pousse à croire ça ?
JABER. - Je sais ce que tu penses. Tu crois que le calife, simplement parce qu’il est calife, est toujours le plus fort. Mais non, mais non !... Ne te fie pas aux apparences car que de califes qui ne bougent pas d’un pouce. Il n’a du califat que le nom et le harem. Que Dieu me garde si je veux du mal à notre sire, le calife. Mais je te préviens de ne pas te fier aux apparences. Que dis-tu donc ? Commences-tu par pencher du côté de notre maitre, le vizir ? MANSOUR, toujours séduit par le jeu et son visage exprime gêne et embarras. - Je penche du côté de notre maitre, le vizir ?
JABER. - Peut-être... Mais rappelle-toi qu’un tel choix a aussi ses inconvénients. Si le derrière du calife occupe bien le trône et qu’il est taillé à ses mesures, tu auras ainsi parié sur le côté perdant.
MANSOUR, s’avisant. Il commence par s’énerver. - Je n’ai parié sur personne et je n’ai rien dit.
JABER. - Pourquoi tu attends donc? L’hésitation a elle aussi ses inconvénients. Optes-tu donc pour le calife ou le vizir ?
MANSOUR, se tournant autour de lui. - Je me réfugie en Dieu ! J’espère que personne ne nous voie ni ne nous entende.
JABER. - Calme-toi et ne gâche pas le pari. Le gain, c’est une piastre... et la perte, une piastre... et entre les deux se joue le sort du calife des musulmans et de son vizir. Dis un mot et finissons-en !
MANSOUR. - Que Dieu te maudisse ! De ma vie je n’ai jamais vu plus fou que toi. Rends-moi ma piastre.
JABER. - Je la gagnerai peut-être. Si tu te trompes, elle deviendra mienne. MANSOUR. - Je ne veux pas faire de pari. Rends-moi ma piastre !
JABER. - Mais pourquoi tu ne te détends pas, Mansour ? Laisse-nous nous amuser un peu... Bon!... Si tu veux, je jouerai tout seul... Je dirai... (Hésitant.) Que dirai-je ? Quelle différence, d’ailleurs ? Disons... (Après un instant.) Le calife. (Il lève la main qui cache la piastre et regarde. Sa voix
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