Page 61 - L'AVENTURE DE JABER
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L’Aventure de Jaber
LE MARI, avec véhémence. – Par Dieu ! J’étais sur le point de lui baiser le pied. J’ai tellement insisté qu’il m’a chassé et a menacé de me battre. Il a dit qu’il n’était pas fou pour payer le salaire des ouvriers dans une situation pareille.
LA FEMME, un instant après. – Seigneur ! Qu’est-il arrivé à ce monde ? Tu as travaillé chez lui pendant deux années !
LE MARI. – Et avec le début de la crise, il m’a jeté dehors comme un chien.
Les cris du bébé redoublent ; la femme le regarde tristement et le berce.
LA FEMME. – Il n’y a plus de pitié. Qu’est-il arrivé à ce monde ? (Les cris deviennent de plus en plus forts.) Dors mon chéri, dors. Ah ! Si je pouvais... J’aurais pressé mon cœur pour toi et je t’aurais nourri. (Elle le berce.) Hé ! Mon Dieu !... Hé ! Mon Dieu ! (Quelques instants.) Et maintenant, qu’allons- nous devenir ?
LE MARI. – Je ne sais pas.
LA FEMME. – Qui est-ce qui sait alors ? Le petit va mourir entre nos mains. LE MARI, la voix accablée. – Que puis-je faire ?
LA FEMME. – N’importe quoi. Nous ne le laisserons pas mourir entre nos mains.
LE MARI, après une hésitation, la tête baissée et tremblant de honte et de colère. – Pourquoi ne vas-tu pas chez notre voisin ?... Il a chez lui des provisions qui suffisent à toute la ville pour un an. Tu pourras lui demander quelque chose à manger.
LA FEMME, son visage s’altère puis elle le fixe avec des yeux exorbités. – Tu me demandes de faire ça ?
LE MARI, la tête toujours baissée. – C’est peut-être la seule solution.
LA FEMME. – Es-tu sérieux ? Tu sais bien ce que signifie d’aller chez lui. (Elle suffoque sous les pleurs.) Non !... Tu ne peux pas me demander une telle chose. Tu ne peux pas... (Elle éclate en sanglots.)
LE MARI, il laisse éclater sa peine. – Que puis-je faire ? Tu mets tout sur mon dos comme si j’étais le coupable. Suis-je responsable de ce qui se passe à Bagdad ? Est-ce moi qui ai semé la discorde entre le calife et le vizir ? Est- ce moi qui ai provoqué la crise et arrêté les affaires ? Dis-moi, que dois-je faire ? Je ne suis ni sorcier ni faiseur de miracles. Tu sais bien que mon cœur saigne et que les cris du petit me transpercent l’âme.
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