Page 63 - L'AVENTURE DE JABER
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L’Aventure de Jaber
« Le vizir était comme sur des charbons ardents : il paraissait impatient. On lui ouvrait tous les jours la porte de la chambre. (Le garde s’incline et ouvre la porte devant le vizir qui y entre.) Il entrait chez Jaber, lui passait la main sur la tête et mesurait la longueur de ses cheveux. S’il avait pu, il aurait ordonné aux cheveux de pousser immédiatement et de devenir aussi longs que les tresses d’une femme. Mais il ressortait tous les jours le cœur serré, portant dans la main sa tabatière. Il repartait en attendant le lendemain. (Le vizir sort. Salut protocolaire du garde. La porte se referme.) Personne ne pouvait rendre visite à Jaber dans sa solitude ni s’approcher de sa chambre car l’ordre du vizir était strict et sa colère aurait été violente dans le cas contraire. Mais les femmes ont leurs ruses. Après tant de peines et d’efforts, Zoumourroude s’arrangea pour que le garde ferme les yeux. Elle put ainsi voler quelques instants pendant lesquels elle conversa, derrière la fenêtre, avec le mamelouk dont le badinage et le beau langage faisaient battre son cœur. »
Zoumourroude apparait; elle s’approche, méfiante, de la petite lucarne. Sa démarche révèle les attraits d’une jeune fille pleine de vie. Elle porte sur le visage un voile qui ne dissimule ni la beauté de ses yeux ni son anxiété.
JABER, sa voix éclate de joie derrière la fenêtre. - Ô Zoumourroude ! Mon pressentiment ne m’a donc pas trompé. Avant même que tu arrives, j’ai su que tu allais venir. En voilà le signe. Ma tête s’est tout à coup enflammée et j’ai tressailli de tout mon corps. Alors, j’ai été certain que tu viendrais. Et te voilà en chair et en os. Tu n’as pas quitté mon imagination, ô Zoumourroude. Tu étais toujours avec moi dans cette chambre. Je voyais tes yeux illuminer l’obscurité. Autour de moi, ton corps se ployait frais, vif et parfumé. Le crois-tu ? Parfois, je sens ton parfum s’infiltrer dans mes pores : un frisson de plaisir s’empare de moi. Mon corps frémit comme si je te serrais dans mes bras. Mais, par la Vérité divine ! Ôte ce voile !
ZOUMOURROUDE, anxiété et tristesse se reflètent dans sa voix et dans son regard. - Je suis venue en cachette : personne ne doit m’apercevoir. J’ai eu beaucoup de peine avant de réussir à arriver jusqu’à toi.
JABER. - Et pourquoi ? Ne sait-on pas que tu m’appartiens maintenant ? ZOUMOURROUDE. - Tu n’as rien encore !
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