Page 24 - Bonhams Cornette Saint Cyr, Property from the estate of Jean-Pierre Rousset (1936-2021)
P. 24

Jean-Pierre n’est pas tombé dans le monde asiatique par hasard, il   Il faut attendre 1918 pour que l’activité familiale se professionnalise
           baigne dedans depuis sa naissance.                 et s’internationalise avec son fils aîné Robert. Épris de liberté
                                                              et d’indépendance, désireux de parcourir le monde, ce dernier
                                                              s’engage dès ses 17 ans comme opérateur-télégraphiste à bord
                                                              du navire-atelier de la marine marchande française Vulcain où il
                                                              découvre avec émerveillement en 1919 Bénarès, Angkor et Pékin. La
                                                              visite de la Cité interdite en compagnie du grand spécialiste suédois
                                                              Osvald Sirèn (1879-1966) est un tournant. De retour en France,
                                                              le succès immédiat qu’il rencontre avec ses premiers achats sur
                                                              place en Asie le pousse à abandonner la marine pour se consacrer
                                                              exclusivement au commerce de l’art asiatique en 1924. Sa nièce
                                                              Anne-Marie raconte dans le même journal adressé à son petit-fils
                                                              une anecdote que Robert lui avait confiée : « entre deux de mes
                                                              voyages, un ami de mon père - collectionneur - vient à la maison et
                                                              remarque avec intérêt les deux objets que j’avais rapportés de Chine.
                                                              L’un d’entre eux lui plaisant particulièrement, il me demande combien
                                                              j’accepterais de le lui vendre. Pris au dépourvu, je lançais un prix
                                                              dix fois supérieur à celui de mon achat. L'affaire fut conclue. Je
                                                              compris alors qu’il y avait beaucoup d’argent à gagner dans le métier
                                                              d’antiquaire. » Ayant déjà l'œil, désireux de poursuivre ses voyages
                                                              lointains en Asie et gagné par la passion du commerce des œuvres
                                                              d’art, il décide d’en faire son métier. D’un côté, il fait tourner la galerie
                                                              de son père en s'approvisionnant directement sur place en Asie. Les
                                                              noms de ses vendeurs - M. Mila, Ministre plénipotentiaire en poste
                                                              au Siam - ou de ses acheteurs - Otto Burchard (1892 - 1965) -, font
                                                              tourner la tête. Dans le même temps, il entre au service de la galerie
                                                              de la Compagnie de la Chine et des Indes. Fondée en 1917 par les
                                                              frères Blazy et spécialisée dans les arts décoratifs,

                                                              la boutique est installée près de la place Vendôme à l’étage d’un
            Louis Rousset chez lui à Paris, 1911              immeuble prestigieux rue de Castiglione à Paris. En charge du
                                                              développement des affaires de la société, Robert s’engage à
                                                              recevoir les clients, à s’occuper des ventes, à visiter les maisons
           Son grand-père paternel, Louis Rousset (1878 - 1929), assureur de   concurrentes, à se documenter sur l’état du marché, à suivre les
           profession et passionné par l’art asiatique, se lance dès 1912 dans   principales ventes publiques et surtout à voyager et séjourner
           le commerce des œuvres d’Extrême-Orient. Le stock de sa galerie «   en Extrême-Orient pour assurer l’achat des pièces. Il devient le
           Antiquités d’Orient, Art boudhique, L. Rousset »   fournisseur privilégié de la galerie qu’il rachète avec Georges Vibert
                                                              après la crise financière de 1929. Après l’ouverture d’un magasin
           située au 13, rue des arquebusiers dans le 3e arrondissement à Paris   rue Saint-Georges dans le IXème arrondissement en 1929, puis en
           compte en 1920 967 pièces dont des porcelaines, des ivoires, des   1931 rue Saint-Honoré dans le Ier arrondissement sous le nom « Arts
           tapis, des sculptures, des jades, des textiles, des masques africains,   d’Asie », Robert s’installe à la galerie en 1934 à l’adresse prestigieuse
           des vitrines … Il s’approvisionne au départ à Paris chez ses amis   et historique du 39, avenue de Friedland à deux pas de l’Arc de
           antiquaires et en salle des ventes à Drouot.       Triomphe. Organisée sur quatre étages, la Compagnie de la Chine
                                                              et des Indes devient une galerie d’art asiatique de référence dans
                                                              le monde, au même titre que celle de C.T. Loo, spécialisée dans
                                                              les sculptures de très haute qualité du Cambodge, de la Chine, du
                                                              Japon, de l’Inde, du Gandhara et de l’Asie du Sud-est, le mobilier
                                                              chinois en huanghuali très populaire sous la Chine des Ming et des
                                                              premiers Qing et les peintures chinoises traditionnelles et modernes -
                                                              notamment celles de Qi Baishi dont Robert avait racheté directement
                                                              à l’artiste une partie de son stock, à 10 US$ pièce, au moment de
                                                              la révolution culturelle. La galerie fonctionne très bien, les livres de
                                                              compte révèlent un volume d’affaires qui ferait pâlir n’importe quelle
                                                              galerie d’art aujourd’hui, les ventes se comptent par dizaines chaque
                                                              jour. La galerie placent des pièces importantes dans les musées
                                                              du monde entier : une magnifique sculpture khmère en grès gris
                                                              datant du XIème siècle et représentant un bouddha assis abrité
                                                              par le roi serpent Muchalinda entre dans les collections du Nelson-
                                                              Atkins Museum en 1930 grâce au soutien du William Rockhill Nelson
                                                              Trust ; le Royal Ontario Museum University of Toronto acquiert en
                                                              juillet 1963 un vase en céramique khmer du XIIème siècle. Afin de
                                                              répondre aux sollicitations grandissantes des nombreux acheteurs,
                                                              Robert met en place une équipe de six personnes : des garçons de
                                                              magasin, un livreur, une caissière et une gérante, sa sœur Suzanne
                                                              (1906 - 1995). Son esprit d’aventurier le fait voyager partout en Asie à
            Yue Bing et Robert Rousset à Pékin, 1929          la recherche d'objets rares de qualité muséale.




           22  |  BONHAMS
   19   20   21   22   23   24   25   26   27   28   29