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L’ANTIQUITE
LA PRINCESSE CELTE ARUNA
nouveau nom, celui qu’elle ne révélera jamais
aux hommes : un nom sacré, porté par les
femmes de pouvoir depuis des générations.
Puis vient le moment du silence. Assise seule
sur une pierre plate, elle ferme les yeux. Elle
doit voir. Non pas avec ses yeux de chair,
mais avec ceux de l’esprit. On dit que cer-
taines ont vu des cerfs aux yeux d’or, d’autres,
une rivière de feu. Elle, dans cette nuit pai-
sible, voit la silhouette d’une femme drapée
d’étoffes flottantes, tenant un torque lumineux
Sous une lune blême, au cœur d’une nuit entre ses mains. Une vision ? Un souvenir an-
fraîche sur les hauteurs boisées de la Heune- cien ? Elle ne saura jamais, mais cela la
burg, une jeune fille marche en silence. Elle marque à jamais. Au retour, les prêtresses la
n’a encore que quatorze hivers, mais ce soir, conduisent à un vieux chêne, où pendent des
elle entre dans le cercle des femmes, dans rubans et des offrandes. Elle y noue à son
celui des esprits, dans l’histoire de sa lignée. tour une bande de laine, tressée de ses
C’est la cérémonie de son initiation. Accompa- propres cheveux. C’est le serment : fidélité au
gnée de trois prêtresses au visage peint de clan, à la terre, et à l’équilibre entre les vivants
symboles lunaires, elle gravit le sentier ances- et les morts. Le vent s’élève doucement, fai-
tral bordé de torches. Autour d’elle, la forêt sant frissonner les feuillages peut-être une bé-
murmure le vent dans les branches, le craque- nédiction silencieuse des esprits. De retour au
ment discret d’un animal nocturne, le clapotis village, à l’aube, elle ne dit mot. Elle dort
d’un ruisseau. Ces sons familiers deviennent quelques heures, puis se lève avec la lumière.
solennels. Ce bois sacré, elle l’a toujours con- Elle regarde différemment la maison, les gens,
nu… mais ce soir, il devient autre. Arrivées à les gestes du quotidien. Ce n’est plus l’enfant
la clairière, les femmes s’agenouillent autour insouciante qui passe entre les meules de fa-
du feu central. La plus âgée tend à la jeune rine et les braises du foyer c’est une jeune
fille une coupe d’argile remplie d’infusion d’ar- femme, porteuse d’un mystère, d’une force.
moise et de millepertuis. L’amertume lui plisse Dans les jours suivants, elle apprend de nou-
les lèvres, mais elle boit sans ciller. Un frisson velles tâches : observer les échanges com-
court dans son dos. La prêtresse chante en merciaux, écouter les chants rituels, aider à
langue ancienne, et la jeune fille répète hési- organiser les offrandes aux tumuli. On la re-
tante, puis plus forte. On l’appelle par son garde autrement. Elle n’est pas encore
Dame… mais un jour, elle le deviendra.