Page 51 - IHEDATE - L'annuel 2017
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Les territoires et le monde
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Y-a-t-il deux France ?
Y a-t-il deux France ? Assis- tons-nous à une fracture entre la France des métropoles, où se concentrent les élites mondiali- sées, et la France « périphérique », celle des villes moyennes, des territoires ruraux, des « oubliés de la République » ? Cette idée des deux France a envahi la scène des médias, et aussi le débat politique, au point d’être souvent considérée comme une donnée d’évidence. Que faut-il en penser ? 1
S’agissant d’abord de la réalité de la métropolisation, une polémique a opposé récemment différents économistes, dont Laurent Davezies, à d’autres chercheurs, comme Olivier Bouba-Olga ou Michel Grossetti, ces derniers faisant remarquer qu’en valeur relative (notamment de l’évolu- tion de l’emploi), certaines villes petites ou moyennes dament le pion aux métropoles, même les plus dynamiques, et insistent sur la diversité des trajectoires de développement possible. Ils n’ont pas tort sur ce point. Mais il est impossible de contester qu’en termes absolus, l’évolution de l’emploi a été, depuis la crise de 2008/2009, nettement plus favorable pour les métropoles. Ceci vaut pour l’emploi en général, mais encore plus nettement pour l’emploi salarié privé. Et cela se confirme pour les périodes les
plus récentes. Entre 2008 et 2016, l’emploi salarié privé a crû de 3,7 % dans les quinze premières métro- poles labélisées comme telles (Grand Paris compris) contre 0,2 % pour le reste du territoire (AdCF, 2017).
À l’autre bout du spectre, toutes les données, et la simple visite de nombreux territoires éloignés des sphères d’in uence métro- politaines, révèlent l’existence de spirales de déclin, de déréliction parfois, tantôt sur de vastes zones, comme dans le nord-est de la France, tantôt dans des bassins d’emploi plus locaux. Les écrivains, souvent, du reste, en rendent mieux compte que les chercheurs (on lira par exemple le très beau récit de Jean-Paul Kauffmann, Remonter la Marne). Le succès dans l’opinion, et auprès des décideurs, des thèses de Christophe Guilluy sur la « France périphérique » ne s’explique pas sans ce sentiment largement partagé. Ces thèses ont le mérite d’avoir attiré l’attention sur ces situations socio-écono- miques très précaires rencontrées dans une partie de la France dite « profonde », en rappelant que les quartiers dits dif ciles de nos banlieues n’ont pas le monopole de cette précarité. Pour autant, l’image des « deux France » est, à mon sens, beaucoup trop simpliste pour être juste.
Pierre Veltz
Ingénieur et docteur en sociologie, il a été directeur de l’ENPC et de l’IHEDATE. Il a enseigné à l’École des Ponts et à Sciences Po. Après avoir dirigé la mission région capitale auprès du Secrétariat d’Etat à la région capitale, il a été de 2010 à 2015 président directeur général de l’Établissement public de Paris- Saclay, en charge de concevoir et de mettre en œuvre le projet de cluster. Pierre Veltz est président du conseil scientifique de l’IHEDATE et Grand Prix de l’urbanisme en 2017.
1 P. Veltz, « Fractures sociales, fractures territoriales », 20 février 2017, Métis Europe. O. Bouba-Olga, Dynamiques territoriales, éloge de la diversité, Ed. Altantiques, 2017. C. Guilluy, La France périphérique, Flammarion, 2014.