Page 53 - IHEDATE - L'annuel 2017
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Les territoires et le monde
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retranchés dans leurs citadelles d’« entre-soi », elles sont égale- ment marquées, y compris en cœur d‘agglomération, par une surreprésentation des ménages pauvres. À l’échelle du pays, les métropoles, le Grand Paris en tête, concentrent la majorité des pauvres. Globalement, le taux de pauvreté (situé à 60 % du revenu médian) est d’ailleurs beaucoup plus élevé en ville qu’à la campagne et les quartiers populaires des grandes villes restent de loin les principaux foyers de pauvreté. Loin de constituer l’espace homogène des « nouvelles élites », des « gagnants de la mondialisation », les métropoles sont des espaces hautement composites, dont les inégalités internes croissantes posent problème.
Le discours sur les « deux France » ne résiste donc pas à l’analyse. D’un côté, on pourrait dire qu’il y a bien plus de deux France : il y a des France multiples, très diverses, qui se superposent et s’imbriquent. D’un autre côté, on peut soutenir aussi qu’il n’y a qu’une France, parcourue par toutes sortes de  ux, striée par de multiples divisions mais aussi rassemblée par une solidarité nationale qui demeure forte. Les divisions géographiques reflètent surtout les divisions sociales. La France, nettement moins inégale au plan des revenus et du patrimoine que les USA ou la Grande-Bretagne (Rapport sur les
inégalités mondiales, 2018) est aussi moins inégale géographiquement. Les coupures qui existent entre Londres et le nord du pays, ou entre les métropoles côtières et l’Amérique profonde, ont pesé lourd dans le Brexit et le vote Trump. Rien de vraiment équivalent en France. La fameuse corrélation entre les votes extrêmes (FN en particulier) et la coupure métro- poles/périphéries doit ainsi être relativisée . Certes, les taux du vote FN s’accroissent quand on s’éloigne des cœurs des métro- poles. Mais, au premier tour des présidentielles, les villes moyennes et le monde rural ne regroupaient que 21% des électeurs FN, et l’on y trouvait aussi 17 % des électeurs de Macron. En pourcentage de voix exprimées, le vote Macron variait de 26 % au cœur des aires urbaines à 21 % dans les territoires les plus périphériques, le vote FN variant, en sens inverse, de 18 % à 25 %. On est loin de l’opposition binaire souvent postulée.
Plutôt que d’opposer les terri- toires, il faudrait donc révéler, af rmer et renforcer tout ce qui contribue à la solidarité de fait entre les métropoles et les autres territoires. On constate aujourd’hui des formes multiples d’interaction entre métropoles et territoires avoisinants, avec des dynamiques assez variées . Mais au-delà de ces interactions passives, le temps est venu de construire des
convergences et des coopérations actives, s’appuyant notamment sur les enjeux de la transition énergé- tique, alimentaire, ou industrielle. Une certaine redistribution des services publics et privés est inéluctable, compte tenu de la démographie. Mais les territoires qui se disent eux-mêmes périphé- riques ont très souvent de magni-  ques atouts à faire valoir. Les territoires gagnants seront ceux qui sauront les mettre en valeur, dans un esprit positif, plutôt que de se borner à pleurer le départ des maternités.
LES TERRITOIRES PÉRIPHÉRIQUES ONT DES ATOUTS À FAIRE VALOIR.
4 F. Gilli, B. Jeanbart, T. Pech , P. Veltz, « Elections 2017 : pourquoi l’opposition métropoles-périphéries n’est pas la clé », Note Terra Nova, novembre 2017. L. Davezies et M. Talandier, L’émergence de systèmes productivo-résidentiels, La Documentation Française, 2015.
© Sophie Knapp


































































































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