Page 55 - IHEDATE - L'annuel 2017
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Les territoires et le monde
toujours la réalité. Dans les villes où la pression touristique est forte, on observe la mise en place de stratégies spéculatives de valorisation immobilière : des logements entiers sont uniquement dévolus à la location et plus à une occupation normale.» Selon la chercheuse, « de véritables professionnels pro tent du système pour s’enrichir ».
À Barcelone par exemple, sur un échantillon de 300 offres de location, 55% des propriétaires offraient plus d’un logement sur la plateforme. Mais seulement 7 % d’entre eux étaient enregistrés en tant que professionnels, ce qui démontre que ces offres multiples se font souvent dans l’illégalité.
Des habitants expulsés de leurs logements
Les effets de ces stratégies spéculatives sont dévas- tateurs : des habitants sont actuellement expulsés de leur logement parce que leurs propriétaires souhaitent louer via une plateforme. La population de certains quartiers change et avec elle, l’offre commerciale... Les quincailleries ou les cordon- neries, indispensables au quotidien des habitants, disparaissent au pro t d’enseignes attractives pour les touristes. Dans certaines copropriétés, la guerre est même déclarée entre les touristes bruyants jusque tard le soir et les habitants qui travaillent tôt le matin.
« L’effet direct des activités des plateformes sur ces phénomènes observés dans de nombreuses villes touristiques reste cependant dif cile à prouver avec des données scienti ques. Il est certain, cependant, que les plateformes ont accéléré, en l’empirant, un ensemble de phénomènes qui étaient déjà là», indique Francesca Artioli.
Quelle action publique envisager ?
«Pour contrôler et éventuellement réprimer les abus constatés sur les plateformes de location immobilière, une municipalité a besoin d’identi er le plus facilement possible les logements et leurs propriétaires, poursuit-elle. Or, les plateformes refusent de livrer ces données. »
Pour contourner cet obstacle, le Conseil de Paris a voté, en juillet 2017, l’instauration d’un numéro d’enregistrement obligatoire pour ces locations. L’objectif de cette mesure est d’améliorer la capaci- té de contrôle des pouvoirs publics. Dans les faits, seul un travail de fourmi – des enquêtes de terrain grâce à un porte à porte effectué par les agents municipaux – s’avère ef cace pour in iger
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des amendes aux propriétaires hors la loi. En Europe, certaines villes ont développé un arsenal particulièrement répressif, à l’image de Barcelone. La capitale catalane exige une licence profes- sionnelle de la part de tous les propriétaires de logements en location touristique. Elle a cessé d’en accorder de nouvelles dans son centre historique, où le manque de véritables habitants était devenu problématique. En 2016, des amendes de 600000 € ont été in igées aux plateformes mettant en ligne des annonces illégales. Une brigade d’agents municipaux a été créée : l’objectif est d’arriver à 110 agents en 2018. «C’est une véritable remise en cause du modèle d’attractivité touristique qui prédominait jusqu’alors dans cette ville », note Francesca Artioli. Milan a pour sa part négocié un accord original avec Airbnb : la plateforme s’est engagée à mettre des logements gratuits à disposition des familles de personnes hospitalisées à Milan qui ne parvenaient plus à se loger à des prix raisonnables.
Fairbnb, la plateforme éthique
Un projet alternatif fait actuellement beaucoup parler de lui, la plateforme Fairbnb. Ses fondateurs l‘ont lancée dans le but de contrecarrer les effets négatifs du tourisme sans contrôle : « Nous voulons donner la priorité aux personnes et pas aux béné ces  nanciers [...] Notre plateforme n’est pas détenue par des investisseurs inconnus, mais par ceux qui l’utilisent et subissent les conséquences de son utilisation : hôtes, voyageurs, voisins. Fairbnb s’assure que les décisions sont orientées vers le bien commun du voisinage ». La plateforme s’engage aussi à rendre ses données publiques et transparentes, contrairement à Airbnb.
VANESSA DELEVOYE
Vanessa Delevoye est journaliste, rédactrice-en-chef du magazine « Urbis le Mag » édité par l’agence d’urbanisme et de développement de la région Flandre-Dunkerque (AGUR).
Cet article rédigé en septembre 2017 est paru, dans une version plus détaillée, sur www.urbislemag.fr
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