Page 47 - IHEDATE l'annuel 2015
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Quels sont les autres problèmes
que vous avez repérés ?
Il y a un problème majeur autour de l’émergence de l’économie résidentielle. On observe une distinction entre bassin d’emploi et bassin de vie. Aujourd’hui, on ne travaille plus à l’endroit où on dort. Le sociologue Jean Viard le montre très bien dans ses travaux. En 1960, les Français faisaient 4 kilomètres pour aller travailler, aujourd’hui ils en font 45. D’abord sur le plan démocratique, cela pose un problème parce qu’onvotelàoùondortetnonpaslàoùonasa vie active. Et si ce n’est pas au même endroit, on demande à nos élus de la sécurité ou du débit, mais pas du dynamisme économique puisqu’on travaille ailleurs. Cette disjonction fait que cela n’a plus de sens pour une commune de dire : « Je crée des emplois ».
Pendant 25 ans, j’ai entendu les élus me dire :
«Dans mon territoire, je fais du développement local». Mais en réalité, cela ne signifie pas grand-chose parce qu’aujourd’hui, les terri- toires sont incomplets. Un livre m’avait beaucoup plu, Le tour de la France par deux enfants, dont la première édition date de 1877. Dans ce livre, on voit le vrai visage de la France de la fin du XIXe siècle, constituée d’un ensemble de sous-territoires. En fait, c’est une juxtaposition de clusters fermés. Les gens ne sortaient pas de chez eux, il n’y avait aucune mobilité.
Des entreprises et des territoires I47
Aujourd’hui, cette mobilité est une nouvelle donne dans le développement territorial. Il faut le penser non plus dans les unités de développement des communes mais de façon plus large, dans l’ « interterritorialité». Il faut lire à ce sujet l’ouvrage de Martin Vanier, Le pouvoir des territoires, essai sur l’interterrito- rialité . Les territoires d’aujourd’hui sont incom- plets et ouverts. Mais ils possèdent également de puissantes dynamiques.
Quel est votre bilan des politiques
publiques territoriales ?
Si je fais un bilan, il ne reste pas grand-chose. Je prends par exemple la question du diagnostic. C’est dramatique. Des consultants venus de Paris débarquent dans des communes pour faire des diagnostics après avoir passé huit jours sur place. Ils font deux colonnes avec ce qui marche et ce qui ne marche pas. Et les préconisations se résument le plus souvent à ces quelques mots : «Il faut soutenir ce qui marche et aider ce qui ne marche pas». Si les citoyens savaient combien d’argent on dépense pour ce genre de diagnostic... Ce qui est intéressant quand on travaille sur des projets de développement territorial, c’est d’aller chercher ce qu’on ne voit pas, ce qui n’est pas évident. Privilégier le «ce qu’il pourrait y avoir» plutôt que le «ce qu’il y a».
Et les entreprises dans tout ça ?
Je connais bien le monde des élus et ils ont, pour la plupart, peur des entreprises. Peu d’élus sont vraiment proches du monde de l’entreprise. Cela vient du fait que l’entreprise n’est pas un outil naturel de l’aménagement du territoire.
Le pouvoir des territoires, essai sur l’interterritorialité, Martin Vanier, Economica, 2e édition, 2010.
Le développement territorial, c’est aller chercher ce qu’on ne voit pas, ce qui n’est pas évident.


































































































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