Page 38 - MOBILITES MAGAZINE n°16
P. 38

                 Politiques & institutions
  QUAND LES CHEMINS DE FER DÉPARTEMENTAUX ÉTAIENT LES VRAIS TRAINS DE LA RURALITÉ
  a l’apogée du développement du réseau ferroviaire en France, la « ruralité » avait ses trains. Déjà, à l’issue de la réalisation des grands axes ferroviaires structurants qui s’était achevé sous le Second empire, le « Plan Freycinet » (du nom du ministre des travaux Publics d’alors) voté en 1878 visait à la création d’un « second réseau ». Celui-ci était destiné à relier par le rail toutes les préfectures et les sous-préfectures, il ne concernait pas moins de 8850 km de lignes nouvelles à construire qui, avec plus d’un millier de gares, irriguaient de nombreuses zones rurales. Ce plan de grande ampleur a été presque totalement réalisé en trente- cinq années, jusqu’à la veille de la Première guerre mondiale. Et ce avec une participation financière substantielle de l’Etat, qui prenait ici à sa charge toutes les acquisitions foncières et la réalisation des infrastructures lourdes, principalement celle des terrassements et des ouvrages d’arts. tandis que les voies et leurs équipements, comme les bâtiments des gares et des haltes et les dépôts, étaient du domaine des grandes compagnies ferro- viaires concessionnaires (Est, nord, ouest, fusionné avec l’Etat, Po, Midi et PLM). Parallèlement, la puissance publique affichait l’ambition d’obtenir un maillage ferroviaire encore plus serré qui, cette fois, se serait noué territorialement jusqu’au niveau des chefs lieux de cantons. Cette démarche né- cessitait de quasiment doubler la longueur du réseau ferré en sus de l’existant et des lignes du Plan Freycinet. Une nécessité qui, comme le rappelle un historien(1), se trouvait liée au fait « qu’une grande partie du territoire métropolitain, situé [en zone rurale et /ou de montagne] ne pouvait être desservie par les grandes compagnies, peu désireuses de construire à grands frais des antennes vicinales obligatoirement défici- taires ».
au tournant des XiXe et XXe siècles, ces che- mins de fer secondaires ont été autant de champs d’innovation, dont les leçons pour- raient encore être utiles aujourd’hui, alors qu’on se préoccupe du devenir comme des coûts du maintien en fonction des « petites lignes ».
Des innovations institutionnelles d’abord, avec une série de trois lois ad hoc votées successivement jusqu’en 1913. Elles ont donné un rôle central aux départements, tant en matière de prises de décisions de construction des réseaux que des formes juridiques de leur gestion. outre la gestion directe via des
régies, elles laissaient également la place à des entreprises privées en quelque sorte « multi-réseaux »(2) et dotées de garanties de l’Etat selon la loi de 1880.
Des innovations techniques ensuite. Sur la base d’une simplification des normes qui était destinée à alléger aussi bien les coûts d’établissement des lignes que les règlements et les contraintes de leur exploitation. ainsi, l’utilisation très largement majoritaire de la voie métrique a notamment permis d’abaisser le rayon des courbes, tandis que la construc- tion de l’équivalent la moitié de la longueur des lignes en accotement le long des routes a pu réduire significativement l’ampleur des coûts d’acquisitions foncières. Enfin, le choix de profils faibles a également permis de limiter aussi bien les volumes de terrasse- ments que le nombre d’ouvrages d’art à construire. S’ajoutent l’utilisation de rails légers, la signalisation et les règles d’exploi- tation simplifiées, plus l’emploi de matériels roulants légers et adaptés( 3). Un ensemble de règles qui a permis d’obtenir un coût moyen kilométrique de 80 000 francs pour une ligne à voie métrique. a comparer au même moment aux 175 000 francs/km d’une ligne à voie unique à écartement standard du « Plan Freycinet ».
avec l’inconvénient d’offrir de faibles per- formances de vitesse commerciales qui ne dépassaient pas les 20 à 25 km/h, un aspect peu important, alors que la traction hippo- mobile dominait totalement les transports routiers. Une faiblesse liée aussi à des tracés qui passaient très souvent au cœur des lo- calités, ou à la présence de nombreux arrêts : tous les 3,5 km en moyenne contre environ dix kilomètres sur les lignes classiques, le principe étant de desservir le maximum de communes.
De 1880 à 1914, près de 24 000 km de che- mins de fer départementaux et locaux sont ainsi créés, dont 85,5% établis à voie mé- trique, et 12,2% à voie normale(4). Des ré- seaux qui se trouvent répartis très inégale- ment sur le territoire, souligne le même his-
torien. Puisque « les régions les mieux pour- vues sont la Bretagne, les Charentes, le Val- de-Loire, Rhône-Alpes où le kilométrage dé- passe 400 km par département [tandis que] les moins dotées sont l’Auvergne et les Cé- vennes avec moins de 100 km par départe- ment ». Ce qui renforce l’idée d’une offre a priori destinée aux territoires ruraux densé- ment peuplés, qui étaient alors essentielle- ment concentrés dans le grand ouest.
En dépit des efforts de modernisation et de motorisation de nombreux réseaux qui ont été dès les années 1920, les pionniers de l’utilisation des auto-rails, le déclin des che- mins de fer secondaires et départementaux(5) commence dès après la Première guerre mondiale. En raison de l’irruption de l’autocar et - plus marginalement - de la voiture indi- viduelle. Mais sans oublier, aussi et surtout, les pertes de la guerre 1914-1918 elles- mêmes suivies de l’accélération de l’exode rural et qui diminuent drastiquement le po- tentiel de clientèle des réseaux...
1 Rémy Guyot, « Rails et voies des chemins de fer secondaires », Revue d’histoire des chemins de fer, n°24-25, 2002, pp. 138-145.
2 Les entreprises les plus importante, les CFD (Compagnie des Chemins de fer Départementaux) et les CFE (Chemins de fer Économiques au- jourd’hui intégrés au groupe Veolia) ont été créées dans le cadre de la loi de 1880. A leur apogée elles géraient plus de 6000 km de lignes directement, en affermage des grandes compagnies (« Réseau breton » et PO Corrèze) ou au titre de concessionnaires de réseaux dé- partementaux.
3 Plus de 10% du kilométrage de ces ligne était électrifié. Parfois avec des techniques d’avant- garde. Comme en Haute-Vienne où les 340 km du réseau étaient équipés en 50 Hz, trente années avant le réseau national.
4 Les autres écartements - généralement 0,60 m - concernaient des « trains de plage », des antennes de montagne et des lignes à usage militaire.
5 Il ne reste aujourd’hui en France qu’environ 700 km de lignes secondaires à voie métrique. Les Chemins de fer corses (232 km) et les Che- mins de fer de Provence (151 km) sont les plus importants ensembles subsistants.
   38 - MobiLitéS MagazinE 16 - JuIn 2018
 

















































































   36   37   38   39   40