Page 12 - MOBILITES MAGAZINE N°23
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                 A la Une
structures de transport public na- tionales les plus performantes.
Un vide entre les
« métropoles-citadelles »
On peut discuter longtemps des causes et des conséquences, à l’image du débat entre poule et œuf, pour savoir si la marginalisation de territoires entiers est provoquée par le recul des transports publics, ou si c’est l’inverse. Mais il s’avère que les territoires de cette France périphérique correspondent assez précisément à ceux qui ont souvent perdus très tôt la consistance de leurs dessertes ferroviaires, avant
qu’elles soient même supprimées, et suivies de celle des autocars qui les remplaçaient avant que ne disparaissent ensuite une grande partie des autres services publics. Parallèlement, leurs commerces de centre-ville ont été, depuis bientôt deux décennies, laminés par les grandes surfaces... périphériques ! On pourrait ainsi dessiner sur la carte de France un espace principal en forme de vaste « S » qui irait du Nord-Pas-de-Calais au centre des Pyrénées en passant par Cham- pagne-Ardennes, Lorraine, Bour- gogne et Massif central. Un espace auquel s’ajouterait à l’Ouest un cor-
ridor reliant le sud de la Normandie à l’Auvergne en passant par une partie du Centre-val de Loire. Comme d’importantes « poches » réparties sur l’ensemble du terri- toire.
Serait-ce une vision trop géogra- phique, voire même « géogra- phiste » (un comble !) et qui serait assortie de simplifications jugées excessives(2) ? Les critiques viru- lentes de l’analyse de Jean-Chris- tophe Guilluy vont parfois même jusqu’aux accusations de « com- plotisme », quand il relie ce phé- nomène de relégation sociale et géographique avec une fin de la « classe moyenne occidentale » (3) qui serait programmée par des « élites mondialisées ».
Limitons ce débat au domaine des transports publics. De ses infra- structures et de son offre de trans- port, et de l’évolution de leur géo- graphie. D’emblée, on constate que les espaces de la France périphé- rique ne sont, pas plus d’ailleurs que les métropoles, homogènes. Ce dont convient d’ailleurs Chris- tophe Guilluy. Puisque ces territoires présentent une image en « peau de panthère », en incluant des métropoles (Lille, Metz, Nancy, Di- jon, etc.) dont la zone d’influence peut - au moins à la marge - dy- namiser des territoire moins pros- pères. Ceux, justement, où se trou- vent les agglomérations urbaines
 PAVÉ DANS LA DÉCENTRALISATION : L’OMBRE URBAPHOBE DE PARIS ET LE DÉSERT FRANÇAIS
au nom d’une décentralisation mal comprise dès l’origine, le débat sur la France périphérique serait-il en partie faussé ? Paradoxalement, la plupart des intervenants ne mettent absolument pas en cause le socle idéologico-politique originel ambigu de cette décentralisation. D’abord, peut-être, parce qu’on a pu la voir comme un « anti- parisianisme ». Pas vraiment au point de vue du rôle de ces « élites parisiennes » souvent mises en cause, mais surtout du poids social, politique et économique de Paris, et de la grande ville en général.
tout est parti il y a sept décennies de l’analyse de Jean-François gravier (1915-2005) dans son ouvrage Paris et le désert français. Publié en 1947 le livre est resté une référence indépassable qui démontrerait
la nécessité absolue de la décentralisation.
tout ici est pourtant directement issu de la pensée « urbaphobe » développée à loisir par le régime de Vichy. et son auteur, issu de la large mouvance maurassienne, avait eu en 1943 - avant sa reconversion
en 1946 au Commissariat général au plan, ancêtre de la DataR -
la responsabilité de la formation des cadres de propagande à
« l’école nationale des cadres civiques ».
Cette empreinte d’origine sur l’ouvrage s’est révélée si marquante
que de nombreux passages de l’édition originale - pourtant parue après
la libération ! - seront épurés ultérieurement.
Fondés sur l’adage selon lequel « seule la terre ne ment pas »,
les termes exacts de l’un des premiers discours du chef de l’ex-état français, ils exprimaient une véritable haine de Paris et des grandes villes. et dans un texte ponctué de nombreuses digressions racistes sur fond d’engagement pro-dictatorial, d’un auteur qui détestait la démocratie
et l’individualisme, et était l’ardent diffuseur des thèses eugénistes d’alexis Carrel* MC
(*) Voir Bernard Marchand, Les Ennemis de Paris. La haine de la grande ville, des Lumières à nos jours. Presses universitaires de Rennes, 2009.
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