Page 14 - MOBILITES MAGAZINE N°23
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                              ÀlaUne
   Premier ministre, édouard Philippe. De façon à « déminer le terrain » au moment du lancement d’une réforme ferroviaire autant inatten- due que controversée.
Pour justifier la liquidation de pas moins du tiers du réseau ferré, le rapport Spinetta - sorte de synthèse devenue comme véritablement emblématique d’une vision pure- ment technocratique des transports ferroviaires(6)- se fondait non sur les besoins et la demande, ou sur des niveaux de trafics existants ou potentiels qui auraient été préa- lablement analysés. il était sim- plement assis sur l’offre de transport SNCF actuelle, elle-même réduite au nombre de trains circulant les jours ouvrables.
Comme si l’état stratège se trouvait, faute d’expertise ferroviaire indé- pendante, à la remorque du seul schéma de transport de l’exploitant historique ! Avec pour résultat une analyse globalisante tournant autour d’une facile mise en regard du faible pourcentage des trafics concernés sur une relativement importante proportion du réseau. Un froid ex- posé qui se dispensait de toute ré- flexion d’effet-réseau comme d’aménagement ferroviaire du ter- ritoire.
La quadrature du cercle
il est vrai que l’analyse des besoins en transports collectifs des terri- toires concernés n’est pas une mince affaire. D’autant que Chris- tophe Guilly décrit - contradictoi- rement, au moins en apparence -, sa France périphérique comme étant « sédentaire ». Mais il conviendrait ici de distinguer la démographie, la localisation et les déplacements.
La première montre que dans cette France périphérique, la majorité des habitants vivent dans leur dé- partement de naissance. Puisque, « de l’avion au TGV, la mobilité choisie reste le privilège des classes
supérieures [...] la mobilité, le monde nomade, c’est d’abord celui des gagnants de la mondialisation », qui semblent atteints d’idéologie « bougiste »(7) !
Paradoxalement, en raison des lieux de résidence, cette sédentarité résidentielle s’accommode parfois de longs déplacements quotidiens, en raison de la situation du marché du travail et de l’impossibilité fi- nancière d’habiter dans des mé- tropoles ou dans leurs zones d’at- traction. Aussi, en raison de l’indi- gence ou de l’absence de transport public, ces déplacements quotidiens ne peuvent s’effectuer qu’en voiture. Diesel, bien sûr, une réalité qui reste aveuglément ignorée « d’en haut ». Ce qui nous ramène au dé- clencheur du mouvement ! z
MICHEL CHLASTACZ
1) La France périphérique, col. Champs actuel, Flammarion 2014.
2) L’accusation la plus générale serait celle de
« mélanger », sur les mêmes aires géographiques (les métropoles et la « France périphérique »), des catégories sociales bien différentes. Mais la démarche initiale de l’auteur est en partie affinée et redéfinie dans son second ouvrage Le Crépuscule de la France d’en haut, col. Champs actuel, Flammarion, 2017.
3) Encore faudrait-il s’entendre sur cette notion de « classe moyenne ». Résultat d’une démarche
« fourre-tout » de l’INSEE qui l’élargit aux employés et aux ouvriers qualifiés, elle semble être plus proche d’une catégorisation politico- idéologique que d’une vraie analyse sociologique. 4) Voir Olivier Razemon, Comment la France a tué ses villes, Éditions Rue de l’Échiquier, 2017 (seconde édition). La « vacance commerciale » dans les centre-ville atteindrait 11 % en moyenne nationale et elle dépasserait les 20 % dans de nombreuses villes petites et moyennes.
5) Pêle-mêle : Hirson -Metz, Reims-Dijon, Paris- Boulogne, Paris-Maubeuge/Cambrai, Paris-Montluçon, les deux itinéraires Bordeaux- Lyon, les lignes de l’ « Aubrac » et du
« Cévenol », etc.
6) Analyse qui, appliquée aux investissements routiers, rappellerait qu’un rond-point coûte l’équivalent de 3 km de renouvellement de voie ferrée.
7) Et qui expliquent que « la mobilité est la solution au chômage ». Aussi, « c’est par leur refus d’être mobiles que les gens s’enfoncent dans la précarité [...] ce qui permet de minimiser l’accroissement des inégalités sociales et territoriales inhérentes au modèle économique mondialisé ». Voir, in° Christophe Guiluy, Le Crépuscule de la France d’en haut, op.cit. pages 228-231.
 DES MÉTROPOLES DOMINANTES ET PAS SI BIEN ÉQUIPÉES EN TRANSPORTS
la « métropolisation » de la France s’accentue, et les métropoles concentrent au fil des années une part de plus en plus élevée de la richesse nationale. Une part très supérieure à leur seul poids démographique. Ce- pendant, les métropoles souffrent aussi d’importants handicaps. sociaux, dans la mesure où elles concentrent elles-mêmes de larges poches de pauvreté au cœur et en périphérie. structurels aussi, en raison de leurs re- tards en matières d’équipements à la hauteur de leurs ambitions.
ainsi, alors que la zone d’influence des métropoles françaises évaluée en fonction de la notion des « aires urbaines » de l’insee(1) est bien réelle, elle ne s’exerce pourtant que de façon incomplète. essentiellement faute d’infrastructures de transports suffisamment lourdes, denses et robustes, si l’on excepte le cas par- ticulier et hégémonique de l’Île-de-France. il ne s’agit pas ici des transports urbains du cœur des métropoles, puisque la plupart d’entre elles se sont équipées de ré- seaux de métros et, surtout, de tramways très perfor- mants. Mais ce sont surtout les transports suburbains et de banlieue qui restent généralement très peu dé- veloppés en dépit de certains projets qui s’esquissent peu à peu(2).
l’exemple allemand, tant vanté par ailleurs (surtout en raison de sa soi-disant « saine » gestion des finances publiques), laisse ici à réfléchir. Puisqu’outre-Rhin des villes comme lille, lyon, Marseille et toulouse, voire bordeaux, nantes, Rennes et strasbourg seraient dotés d’un réseau de s-bahn, c’est à dire d’un ReR.
MC
1) Selon la classification de l’INSEE, une commune où - au moins - 40% des actifs travaillent dans la « ville-centre » proche se trouve, de fait, inclue dans l’aire urbaine de cette même « ville-centre ».
2) Voir : Les métropoles : un nouvel avenir pour les trains de banlieue ? Un dossier wwwmobilitesmagazine.com, février 2018.
 14 - Mobilités Magazine 04 - AvriL 2017
    







































































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