Page 16 - EXTRAIT ANACALYPSE
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migré lors de la junte militaire à la fin du siècle précédent. Le
              Grand Séisme avait métamorphosé leur terre qu’ils pensaient
              immuable depuis l’Antiquité ; les optimistes disaient qu’on y
              avait gagné des couchers de soleil flamboyant sur les façades
              blanches, et des nuits étrangement éclairées par une douce
              luminescence.
                 Ce  soir-là,  celui  de  son trente-cinquième  anniversaire,
              dans son studio perché à quelques kilomètres du rocher sacré,
              Terry s’endormait après avoir mis la dernière touche à une
              esquisse.

                 Dans  la  cohue,  Terry  n’entend  plus  ses  propres  pas.  On  la
              bouscule, elle riposte pour s’ouvrir un passage. Autour d’elle, il n’existe
              personne : seulement des mains qui griffent, des jambes qui entravent,
              des souffles qui s’emballent. Des bouches qui hurlent. Peut-être crie-
              t-elle aussi, mais comment savoir ? Rien ne compte qu’avancer dans
              Athènes dévastée, échapper à ce qui arrive, là, de l’est. Non, du sud.
              À moins que ce ne soit du nord, ou de l’ouest… La vérité est que cela
              peut surgir de partout à la fois, que ça peut être là, dissimulé derrière
              ce bâtiment en ruine. Ou là, dans la crypte d’un ancien lieu de culte.
              Ou là encore, dans le sourire édenté d’un vieillard accroupi dans la
              poussière… Tous ceux que cela n’a pas détruits ou corrompus n’ont
              d’autre avenir que la fuite.
                 Ils fuient dans la boue à présent, puisque le ciel aussi pleure, et
              que le soleil ne veut plus éclairer ses enfants maudits. Ils fuient, elle
              fuit, nous fuyons… Plus vite, plus vite, tout s’effondre à présent. Le
              bâtiment gris et terne, pareil à un cube, qui marquait un angle de
              rue, là, droit devant, un ancien ministère de la Justice, ce bâtiment
              qui constituait presque une idée de refuge, vacille et s’écroule alors
              même que Terry n’est plus qu’à quelques foulées de lui. Un instant
              assourdie par le fracas et désorientée par la violence de cette chute, elle
              ne peut que reprendre sa course de plus belle : ça arrive, c’est là…
              La terreur s’empare d’elle, et tout son être hésite entre continuer cette
              course désespérée ou bien s’arrêter, se pelotonner dans un coin et rester

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