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QUI EST VOTRE CERVEAU ?
L’urbanisme du cerveau
Si vous comprenez l’anatomie d’une ville comme Paris, vous
pouvez comprendre l’anatomie du cortex cérébral. Le Paris de
notre époque est encore largement structuré par les réformes
urbaines d’Haussmann, qui organisent la ville autour de grands
axes flanqués d’immeubles d’environ six étages. Cela tombe bien,
le néo cortex humain a six couches. Pendant longtemps, on a cru
que cette organisation était la seule à garantir des fonctions cogni‑
tives élaborées, mais les découvertes récentes sur l’intelligence
des oiseaux (qui n’ont pas de néocortex, mais une structure très
différente sur le plan anatomique : le pallidum), nous a rappelé que,
de même que les villes peuvent s’organiser différemment, les cer‑
veaux peuvent produire les mêmes cognitions avec un urbanisme
neuronal différent.
Dans le Paris haussmannien, prenons un immeuble qui abri‑
terait des bureaux : on trouve à un étage un cabinet d’avocats,
à un autre un cabinet médical, à un autre une régie publicitaire
et à un autre encore un incubateur de start‑ ups. À chacun de
ces étages, des bureaux individuels occupés par des humains.
Chaque humain représente un neurone, il échange avec son voi‑
sinage immédiat, qui peut l’inhiber ou le stimuler, mais aussi avec
d’autres humains à l’autre bout du monde – et même plus souvent
avec ces humains du bout du monde qu’avec ceux qui se trouvent
quelques étages en dessous. Notre cerveau fonctionne sur le même
principe architectural, sauf qu’en général, les neurones proches le
sont pour travailler plus facilement ensemble. La création de ser‑
vices neuronaux, comme celle de services humains, fait intervenir
des échanges locaux – les collègues de bureau – et des échanges
lointains – les correspondants d’un e‑ mail. Pendant longtemps, le
Paris haussmannien associait à chaque étage une couche sociale
bien précise. Le deuxième était par exemple l’étage noble, réservé
aux riches, quand le dernier, sous les combles, abritait les chambres
de bonne. Avec l’apparition de l’ascenseur, comme le note Serge
Soudoplatoff, cette sociologie verticale s’est trouvée substituée par
une sociologie horizontale. Les familles pauvres ont été progressi‑
vement boutées hors de Paris, et les derniers étages, plus lumineux
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