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nous en ayons perçu le moindre effluve ! Cette sensibilité olfactive exacerbée est
               d’ailleurs très utilisée en période de reproduction.
               Et le toucher... un arbre ressent-il qu’on l’effleure ?

               Ce fermier sicilien qui caressait ses oliviers tous les jours et qui gagna le concours de
               la plus belle olive de la vallée du Bélice semble confirmer ce fait. D’autant plus que
               l’exposition  de  son  oliveraie  était  une  des  moins  intéressantes  en  termes
               d’ensoleillement.

               Bref, que nous manque-t-il ? La vue ! Bien sûr, il ne lui manque que la vue, à cette
               forêt !
               Et c’est là que nous revenons à Brocéliande. Car s’il y a bien un sens que ces bois ont

               développé, c’est la vue.
               — Mais... comment ? Les arbres sont-ils vraiment capables de voir ? m’étonnai-je.
               — Non, répondit Skell, les arbres ne voient pas. Tout au plus, captent-ils la lumière
               et y sont bien sûr sensibles. Certains peuvent même se mouvoir ou orienter leurs

               feuilles. Mais aucun ne voit vraiment.
               — Vous me cachez quelque chose, grand Skell. Je commence à bien vous connaître...
               — Eh bien oui, tu as raison ! L’arbre peut très bien voir, s’il le veut.
               — S’il le veut ? Mais pourquoi ne le voudrait-il pas ?

               — Tous les arbres voyaient, jadis. Mais aujourd’hui, ils ont préféré se passer de ce
               sens.
               — Ah bon ? Pourquoi ?
               — C’est une façon d’exprimer leur amertume. Leurs autres sens les renseignent sur

               cette  période  mouvementée,  avec  trop  de  vibrations,  trop  de  vapeurs,  trop  de
               poussières. Face à cet excès d’information, ils ne peuvent plus tout traiter. Ils ont
               préféré se passer du sens qui leur servait le moins : la vue.

               — Mais, et avant, comment s’y prenaient-ils pour voir? Possédaient-ils des yeux ?
               — Pas vraiment. Ils étaient aidés.
               — Aidés ? Et par qui ?
               — Les glutins.
               — Les glu... tins ? C’est quoi, ça ?

               — Les glutins sont de petits corpuscules transparents que les
               fées déposent sous les feuilles. Tiens, regarde... en voici quelques-
               uns.

               Il me tendit une feuille de chêne sous laquelle étaient
               accrochées des minuscules sphères transparentes.
               — Touche-les, n’aie pas peur.
               Je les effleurai des doigts et fus surpris de leur texture. Je
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