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Les glutins de Brocéliande


                                                         - petit conte forestier -


                                                                                             G.F. Spencer

                     Illustration Sacha Vausort


               Au  sujet  de  la  forêt  de  Brocéliande,  beaucoup  de  pages  furent  écrites,  mais  peu
               d’entre elles ne valent cette petite histoire, dont Skell m’a fait part, un matin de
               printemps.
               La forêt est vivante.

               Quelle trouvaille, me direz-vous ! Rien de plus commun que ces quatre mots. Et
               pourtant, si l’on y réfléchit bien...
               La forêt vit, car elle respire, par ses feuilles, l’air qu’elle a purifié quelques heures plus

               tôt. Déjà, rien que cette phrase mériterait qu’on s’y arrête, mais bon, ce n’est pas le
               sujet du jour.
               La  forêt  vit,  car  elle  capte  par  ses  racines  les  vibrations  du  sol.  Le  moindre
               mouvement d’un cerf à des kilomètres de distance est perçu par chaque arbre, chaque

               herbe, chaque champignon, chaque mousse et chaque lichen. Cette perception est
               tellement  fine  que  tous  ces  évènements  sont  exploités  sous  forme  d’énergie,
               permettant à la sève et aux autres sucs de se déplacer plus rapidement. La forêt est
               donc à même de recevoir des ondes. Ce que nous, représentants de l’espèce ultime,

               appelons l’ouïe.
               Et ce n’est pas tout... Si la forêt est capable d’entendre, elle a aussi bien d’autres
               facultés.
               Sentir, par exemple. Nous humons les belles odeurs des sous- bois, bien entendu, et

               de ces odeurs pouvons en tirer moult informations comme le type de sol, humique,
               rocheux, sablonneux, argileux, ou les résines, les fleurs... tous ont leur odeur propre.
               Et la forêt ? Les arbres sont-ils pourvus de narines ? Non, ils ne le sont pas, c’est

               évident. Qui a déjà entendu éternuer un bouleau, ou un chêne, ou encore un hêtre ?
               Et  pourtant...  la  moindre  présence  de  gaz  ou  de  vapeur  dans  l’air  peut  faire  se
               recroqueviller des feuilles, ou se refermer des boutons en fleur, et ce, bien avant que
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