Page 74 - Le grimoire de Catherine
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Je me blottis  contre  sa carapace métallique et suis ainsi prêt  pour  l’écouter. Il se
              tourne vers le Nord et me désigne  une petite bâtisse flanquée d’un atelier. C’est là que
              deux frères travaillent  une belle argile beige, ils la mouillent, la malaxent, la passent au
              four.  Ils  en  sortent  des  pichets,  ronds  ou  droits,  des  cruches  et  même  des  vases.
              Hum !hum ! Heureusement qu’ils  ne me voient pas « galérer » pour construire mon nid
              chaque  printemps.

              « -Penche –toi  un peu, n’aie pas peur et regarde  au travers de  leur fenêtre, vois- tu
              tous   ces petits objets qui sèchent ? Ne te rappellent t-ils rien ? Ce sont des oiseaux
              en grès. Ils ont été fabriqués par les enfants du village qui en sont  très fiers. »

              Et  moi,  qui  crois  n’intéresser  personne  et    qui  passe  mon  temps  à  fuir  les  dangers
              imaginés  par  des  générations  et  générations  de  volatiles    de  mon  espèce !  Je  vais
              arrêter de me cacher à l’approche  du premier matou venu et cesser de traiter tous les
              enfants de  dénicheurs d’oiseaux.

              Je  me sens heureux, je vais pouvoir  raconter cela  à ma famille et  leur apprendre
              qu’ils  peuvent, eux-aussi, être immortalisés et  regardés comme une  œuvre précieuse.
              J’imagine comment chaque  enfant qui a fait naître de ses  doigts  notre fragile copie
              doit s’endormir en  pensant à la douceur de notre plumage, à  notre cœur frémissant
              au moindre bruit. Comme  sa nuit doit être peuplée de jolies balades  dans la nature !
              Me  voilà  porteur  d’un  rêve.  Brutalement,  pour  la  première  fois,  je  me  sens    devenir
              grand. Je peux, moi aussi, avoir  de l’importance.

              Mon compagnon me regarde  d’un air goguenard, il est content, me rappelle que je ne
              suis ni un oiseau de paradis ni le coq  du village mais  que l’on peut être important  pour
              qui sait encore  embellir la vie quotidienne.

              « Puisque  tu sembles intéressé par ce que je te raconte, continuons notre voyage en
              nous tournant vers l’Est. Voilà le souffle de notre vent complice, laisse-toi  porter »

              L’Est, l’Est !  De mémoire d’oiseau on m’avait toujours  dit  que c’est de là  qu’arrivaient
              les    envahisseurs,  les  Huns,  les  Goth,  etc…  mais  je  sais    aussi  que  celui  qui  est
              considéré comme un étranger  peut être aussi un bâtisseur

              .Il suffit de  regarder  autour de  nous, le nid  de la mésange  ne ressemble pas  à celui
              de  la  cigogne  ni  à  celui  du  pivert.  Chacun  est  riche  de  sa  différence.  Donc  je  suis
              d’accord. Que d’arbres, que d’arbres. Tous me paraissent immenses. L’altitude  n’est
              pas mon domaine  de  prédilection, je frissonne contre mon coq .Qu’est-ce qui peut se
              cacher si haut ? Tiens, j’entends un  bruit qui ne m’est pas familier !
              « -Regarde  bien,  ne  vois-tu  rien  apparaître    puis  disparaitre    rapidement,  arrête  de
              piaffer de peur, le bruit que tu entends n’est que celui que je fais  en  tournant sur mon
              axe. »

              Je retrouve  mon calme. Effectivement  ,je vois maintenant une petite silhouette rousse
              à longue  queue  qui fait un  numéro de haute  voltige  s’élançant  d’un noisetier à un
              platane,  puis    grimpant  ,tel  un    singe,  tout  en  haut    d’un  autre  arbre  pour  en
              redescendre  aussi vite. Je fais  la connaissance  d’un  écureuil, espèce inconnue dans
              mon monde  habituel !




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