Page 99 - Le grimoire de Catherine
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-  Et    bien  moi,  je  n’ai  pas  le  temps  de  virevolter,  j’ai    une  préoccupation  bien  plus
              sérieuse,  essentielle,  vitale.  Enlève  ton  casque  de  ferraille  et    écoute.  Chaque  soir,
              lorsque    les  fleurs  confient  leur  dernier  parfum  aux  hirondelles  de  passage,  et  que
              l’arbre s’ébroue des dernières gouttes de lumière  qui s’attardent sur ses feuilles, je me
              mets au travail.

              Comment rester indifférent quand mes petites amies, les poules, se mettent à  claquer
              du  bec,  toutes  plus  attendrissantes  les  unes  que  les  autres.  Tu  les  verrais  se
              transformer  en grosses boules frémissantes, tandis que  leurs petits, fragiles brins de
              mimosa haletants cherchent refuge  sous elles.

              - Rien d’extraordinaire, elles ont froid, qu’elles grimpent au perchoir ! Décidemment je
              perds mon temps avec toi, moi qui ne veux vivre que dans la beauté des choses, dans
              l’immatériel.

              -  Tu  n’y  es  pas,  cœur  de  fer…  elles  ont  peur.  Imagine  chaque    soir,  elles  voient
              apparaitre au dessus de la haie, deux oreilles pointues et une queue  en panache, c’est
              le goupil qui choisit  son menu. Il hésite, la petite  dodue ou la  grande musclée qui sent
              l’herbe fraîche.
              Alors  je  sors tous mes affutiaux, je l’éblouis et crois moi, il déguerpit  ne laissant que
              quelques vieux poils roux  dans les branches. Je suis leur protecteur, leur sauveur.

              Chantehaut était tout ému à l’écoute de ce philanthrope, peut-être avait t-il été injuste
              en méprisant celui qui fut son adversaire.
              Soudain le grand chien du fermier arriva !

              -  Il te   faut  rentrer  Chantedoux,  tu  vas  encore  avoir    peur  de  l’ombre  du  pommier  et
              écraser les pattes des poulettes. Tu sais bien qu’alors  tu ne penses qu’à sauver ton
              plumage. Personne n’est dupe,  tu nous saoules, arrête  ta comédie.
              Tandis    que    notre    compère  obtempérait,  espérant    que  Chantehaut  n’avait  pas
              entendu, une grande échelle apparut  sur le toit de l’église

              - Il y a bien longtemps que ce coq  doit être descendu  de cette vieille église  en ruine. Il
              fera bien la joie d’un antiquaire.

              Envolés les rêves de grandeur, les aspirations à la renommée, notre Chantehaut n’avait
              qu’une  préoccupation, celle d’espérer que  son adversaire ait cru à son discours.

              Il avait toutefois reçu un beau présent de ce dernier. En effet comme le disait Honoré de
              Balzac  « Nos  beaux  sentiments  ne  sont-ils  pas  la  poésie  de  la  volonté ? »  Croire  en
              l’autre,  n’est-ce  pas    vouloir  croire  l’autre.  Chantedoux,  avec  ses  histoires  à  dormir
              debout avait,  certainement, fait rêver  notre  coq si solitaire. Peu importe si celles-ci
              étaient  vraies ou fausses. Il lui avait ouvert ainsi la porte  vers la poésie et fait vivre des
              sensations qui  lui étaient  jusqu'alors inconnues. Ca valait bien le voyage au pays des
              sentiments.
              Il continuait sa réflexion, relégué  dans l’arrière  boutique de  l’antiquaire, coincé   entre
              une vieille tapisserie  brodée  main et un lampadaire bosselé .Un jour, il avait entendu le
              maitre d’école   citer Joseph Joubert « Il n’y  a de bon  dans  l’homme que ses jeunes
              sentiments et ses  vieilles pensées ».


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