Page 38 - DIVA_2_2019
P. 38
c u l t u r e
regarde les yeux écarquillés. Je lui joue permettre d’anticiper. sur un parcours de légende, celui
un petit air d’harmonica et lui tends La progression en colonne est soumise du Mustang. Le périple devient de
un autre harmonica rangé dans mon à des règles. Un volontaire qui est plus en plus difficile car la route est
blouson. Moment fugace de partage et généralement un pilote aguerri reste soumise aux caprices et à la force de
d’émotion. Nous arrivons à temps pour en queue de dispositif comme serre- la nature. Depuis le début, nous avons
le coucher de soleil sur la terrasse de file, allume son phare pour que Pierry croisé des tractopelles qui visiblement
l’hôtel Srinagar. puisse visualiser la progression. restent sur place en permanence pour
Ces quelques jours ont permis à réparer les dégâts dûs aux éboulements
Jour 6 tous de véritablement apprécier la et autres glissements de terrain. Cette
Les plus matinaux sont levés à 5h30. difficulté ensemble, en équipe. La fois l’éboulement a complètement
Le soleil apparaît lentement sur les plupart se connaissent déjà bien et recouvert la voie. Le tractopelle déverse
montagnes et nous apercevons les ont déjà vécu des aventures similaires. directement son chargement dans le
sommets qui culminent au-dessus de la Les caractères se révèlent : loquaces, torrent qui se trouve en contrebas. Ici, les
brume matinale. Après un solide petit discrets, humoristiques, râleurs parfois, forces de la nature sont puissantes dans
déjeuner, nous voici engagés sur une il y en a pour tous les goûts. Il est cette partie du monde où les plaques
piste, puis une route de montagne. La certain que cette passion commune tectoniques sont en action permanente.
circulation devient plus fluide et nous qui réunit les Carpe diem, crée un lien Juste avant cet épisode, Gilles a chuté
permet de jeter un coup d’œil sur les puissant. Bien sûr, quelques signes liés lourdement, il préfère finir l’étape dans le
bananeraies, les orangeraies et bien sûr à la fatigue, apparaissent mais ils sont 4X4 car il souffrait déjà d’un problème
les rizières qui sont disposées en étagères. fugaces, l’énergie du groupe aide à les aux ligaments croisés. Il aura le courage,
Quelques haltes nous permettent surmonter. malgré les difficultés croissantes de
d’admirer le panorama et notamment,
la pagode de la paix. Nous arrivons dans
la vallée de Pokhara. Une crevaison
intervient, Brijesh change la roue en 3
minutes chrono. Le déjeuner au bord
du lac Pewa, est plutôt touristique et les avec une maitrise impressionnante il fatigués après avoir traversé les étroites tracer un passage avec le voisin chinois.
remonte et redescend pour constater ruelles de ce magnifique petit village. Le trajet est devenu plus roulant, nous
pieds dans l’eau. Pokhara est peuplée de
touristes trekkeurs qui peuvent acheter l’avancée de la colonne. Sacré La pomme est le fruit roi dans cette admirons des paysages vertigineux avec
leur matériel sur place, et à un prix bonhomme ! Avec sa stature et sa voix de partie du Mustang. Elle est déclinée notamment un canyon. Nous arrivons
défiant toute concurrence. basse, il pouvait paraître un peu bourru, en pommes séchées vendues par les à Jarkhot, au lodge modeste et même
mais au fil des jours, nous le sentons habitantes dans des sachets et en alcool. charmant baptisé avec humour : hôtel
Jour 7 bienveillant, attentif, nous conseillant Nous dégustons un magnifique crumble New Plazza.
Les cimes enneigées des 8000 se sans en rajouter, nous sentons qu’il a au restaurant Paradise. Direction Muktinath, appelé lieu
détachent alors que nous circulons sur bien pris la mesure des possibilités de Dominique M. le Géo Trouvetou du du salut au sommet situé à 3700
la route principale, et semblent nous chacun d’entre nous. Quant à sa femme groupe, a embarqué dans son sac un mètres. Nous sommes arrivés au point
souhaiter la bienvenue en nous invitant Pascalou, sa sensibilité, son éternel module électronique conçu par ses culminant du périple, Victoire !
à continuer vers elles. La route devient sourire bienveillant et son attention soins, qui enregistre les données météo,
sinueuse, très piégeuse. Nous avons transparaissent dans ses photos et GPS et la progression du convoi. Jeannot prend de l’élan dans la montée,
changé de véhicule et de chauffeur, la Deux ponts de singes plus tard, la remonter sur la moto le lendemain. rajoutent un surcroît de sérénité dans au moment d’entamer un virage, il ne
panne du radiateur avait endommagé conduite devient pilotage. Pierry le notre parcours. Jour 9 voit pas un cheval et sa cavalière et les
le moteur. Chaque motard signale à son confirme : « on y est ». Une succession Nous arrivons pour la nuit à Tatopani, Marpha vient de disparaître dans la percute. L’animal se cabre, sa cavalière
Nous traversons une zone boisée par poussière et déjà, nous rencontrons tombe, heureusement sans se faire
de virages s’enchaine, il faut petit point de rendez-vous des trekkeurs,
rester hyper concentré, nous qui dispose de piscines d’eau chaude. des pins et des cèdres et nous arrêtons quelques problèmes mécaniques. Un mal. Jeannot aura droit jusqu’à la fin
montons puis redescendons Nous sommes bien dans l’ancien pour la pose chaï (thé au lait). sélecteur de vitesse est sorti de sa butée, du voyage, à des plaisanteries sur le
à 900 mètres pour déjeuner royaume du Mustang dont la traduction Brijesh répare… La végétation s’est rapport entre la roue avant d’une moto
dans un minuscule restaurant tibétaine est plaine fertile depuis le Les Aanapurnas nous contemplent. raréfiée et devient même désertique. et l’arrière train d’un cheval.
surplombant le fleuve. check-point passé quelques kilomètres Un franchissement de gué plus tard, Nous rejoignons le village de Jomsom Dans le temple, dédié au culte de
nous entrons dans le lit du fleuve sur lequel est positionné un petit Vishnu, 108 robinets à tête de taureaux,
Quelques-uns se demandent plus bas.
quel jour nous sommes, peu asséché. Nous discutons avec un aérodrome. Quelques avions atterrissent déversent une eau qui provient des
sont capables de répondre. La Jour 8 groupe de femmes, accompagnées pendant notre passage. glaciers. Une offrande est posée (un
particularité et l’intensité de Ça monte ! Les pistes sont complétement par leurs enfants. Avec leur bonne En contrebas, nous franchissons un pont harmonica) pour demander au Dieu de
ce voyage nous font perdre la défoncées. Des pierres tombent, parfois humeur et entre deux éclats de rire, de singe après avoir traversé une portion préserver notre voyage. Plus loin sur un
elles parviennent à nous convaincre de
notion du temps. Il nous reste devant nos roues et appellent à la minérale, la pierre devient maîtresse promontoire, un gigantesque Bouddha
21 km, il nous faudra 3 heures. vigilance. 1ère, 2éme, les virages se les prendre en moto-stop jusqu’à leur des lieux. A ce point, et curieusement, de 15 mètres de haut, contemple avec
Nous prenons désormais succèdent à un rythme effréné, nivelant destination. nous retrouvons une route goudronnée. ses yeux bleus indulgents ces humains
prédécesseur d’un geste du pied ou de pleinement conscience du privilège le niveau des motards mais tous Les difficultés montent en puissance. Il s’agit d’une démonstration technique qui se recueillent.
la main, une pierre, une ornière pour de cheminer dans de telles conditions s’accrochent. Pierry veille sur la troupe, Nous arrivons au lodge de Marpha très et politique dans la perspective de « Ô temps, suspend ton vol ! » La nuit
38 D I V A - I N T E R N A T I O N A L D I P L O M A T I N T E R N A T I O N A L D I P L O M A T - D I V A 39