Page 33 - Livre Kreitman-Ledermann nov 2019
P. 33
Mamie, as-tu des souvenirs de ton papa ?
“J’ai peu de souvenirs de mon père, qui reste pour moi Deddy. L’un des plus marquants est sans aucun doute le jour de sa mort, le samedi 13 août 1934 à minuit ; il avait 64 ans.
J’avais quatorze ans et je me souviens (...)
En cette fin d’après-midi il attendait le retour de “tyoul“ de mon frère Jos. Il le réclamait : “Où est Shye (Joshua) ?“.
Puis il demanda qu’on rafraichisse ses pieds, comme on le faisait plusieurs fois par jour, afin d’apaiser ses pauvres pieds brûlants, à cause de sa maladie et de la chaleur de l’été. Léah s’en occupait...
Jos rentra ce soir-là tard de son tyoul avec son club de sport Maccabi. Rassuré mon père dit alors :
“Ribono shel olam rift mir, ir kim shoyn !“
“Le Bon Dieu m’appelle ! J’arrive !“.
Il se tourna vers le mur, dit le Shema Israel et s’éteint.
Tout le monde disait que Deddy était un lamedvouvnik, ל”ו ם צ ִדיק, un sage. On m’envoya baby-sitter chez la sœur d’Avroumtche, mon beau-frère, le mari d’Esther, le jour de l’enterrement...
Plus tard, lorsque je rentrais à la maison, une grande agitation règnait, mais tout était fini. La shiva avait commencé.
Je me souviens d’avoir beaucoup pleuré, furieuse d’avoir été tenue à l’écart... La vie a continué...
D’autres souvenirs ?
En 1934, en temps de crise, mon père devait continuer à gagner sa vie.
Aussi fréquentait-il tous les lieux où se retrouvaient, pour faire des affaires, les schlijpers, les polisseurs, les tailleurs,
les cliveurs de diamant, les petits
fabricants, etc.
Ces endroits étaient surtout des cafés. Et dans les cafés, il fallait consommer. Et mon père, lui, ne consommait jamais. Alors il achetait des chocolats qu’il nous offrait, le soir à la maison. De là date mon
amour du chocolat !
Tous les soirs, au moment de dormir, Deddy nous racontait une histoire tirée de la Bible.
L’histoire de Joseph et ses frères, est longtemps restée gravée dans ma mémoire. Le passage le plus dramatique, celui où ses aînés le jettent dans un puits infesté de serpents m’a terrifiée bien des nuits ...
Nous ne faisions quasiment jamais appel au docteur Joos, notre médecin de famille... Deddy était le médecin de la famille, qui ne nous traitait qu’avec de l’huile de ricin. C’était pour lui le remède miracle qu’il nous forçait à prendre, quelle que soit notre maladie - indigestion, grippe, fièvre ou maladie d’enfant. Et le pire est que cela nous guérissait ! Il nous disait que c’était le meilleur moyen de “nettoyer“ son ventre et son estomac...
Il fallait quand même trois personnes pour nous en administrer une seule cuillère : la première personne nous tenait, la seconde bouchait notre nez, la troisième portait la cuillère à notre bouche et nous faisait boire !
Et je ne peux pas oublier le jus de citron que nous devions boire tout de suite après pour faire disparaître le mauvais goût laissé en bouche par l’horrible breuvage !... A tel point que pendant des années j’ai détesté le citron parce qu’il me rappelait l’huile de ricin !
Une autre anecdote m’a souvent été racontée.
La voici, telle qu’en mon souvenir. Moïshé devait avoir 5 ou 6 ans et il était gravement malade. Le médecin appelé à son chevet ne laissait aucun espoir à mes parents quant à une quelconque guérison. Il leur demanda pourtant de respecter à la lettre la médication qu’il recommandait : donner toutes les heures, une cuillère à café de la potion qu’il leur avait remise.
Mon père décrèta alors : “Si c’est comme ça, il peut bien boire toute la bouteille !“... Moïshé but toute la bouteille... et guérit.
Le vendredi suivant, à la synagogue, Deddy décida qu’à compter de ce jour, son fils porterait un nouveau prénom : “Haïm“, mot qui signifie “la vie“. Depuis lors, mon frère porta les prénom
de Moshé, Haïm, Mordechaï.“
Et encore...
Tous les mercredis soirs Deddy allait au marché au poissons au Sud de la ville. Il y connaissait tous les marchands et en