Page 13 - Le Japon avril 2019
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En entrant dans une première « chapelle » plongée dans la pénombre, le regard hésite entre le sol couvert d’une multitude de tout petites mosaïques de marbre blanc de Carrare - soit en tout 700.000 ! -, et la vue au loin d’une oeuvre familière, l’un des cinq nymphéas du maître impressionniste appartenant tous au propriétaire du lieu, l’éditeur Soichiro Fukutake présentés dans l’espace Claude Monet.
L’effet d’attraction est d’autant plus fort que la lumière zénithale qui tombe ce jour-là sur les murs blancs et sur les cinq peintures est presque éblouissante.
Cependant, très vite, un premier malaise vient troubler notre regard : des cadres en marbre de Thassos, de couleur blanche, ton sur ton avec les murs, enchâssent les œuvres, lesquelles se voient comme diluées.
En outre, elles sont recouvertes, pour des raisons de sécurité, de verres anti-reflet, qui viennent brouiller le regard encore un peu plus. Et si la pièce principale, qui mesure trois mètres de long sur deux de large est présentée sur un mur aux dimensions respectables qui met en valeur son format, les quatre autres semblent à l’étroit. Un comble car le parti pris par les concepteurs du lieu, Tadao Ando en tête, était de créer un musée et des espaces sur mesure.
Enfin, la mosaïque du sol, les nymphéas enchâssés, la lumière, les hôtesses aseptisées, l’obligation d’enfiler ces chaussons, donnent le sentiment d’entrer dans une sépulture cryogène ...
La seconde ronde, tout aussi cérémonielle, sera consacrée à James Turrell. Très tôt l’artiste californien a décidé non d’éclairer des objets mais de créer des œuvres de lumière.
Première tentative, réussie : Afrum, Pale Blue, une œuvre historique datant de 1968. Où l’on voit, à distance, une lumière, projetée dans un coin d’une pièce, qui a l’apparence d’un cube flottant dans l’espace. Ni plus, ni moins. Œuvre à la fois matérielle et abstraite que d’aucuns percevront comme chargée de spiritualité.
Avec le second espace, Open Field, qui date de 2 000, Turrell va beaucoup plus loin. Sa proposition : nous faire pénétrer (dans) la lumière, nous envelopper avec, nous la faire toucher, palper, caresser. Et nous faire perdre toute notion du temps et de l’espace, quitte à provoquer le vertige. Vraiment.
Ce magicien utilise des ingrédients qui n’apparaissent guère, grâce auxquels cette pure mystification fonctionne à merveille : des éclairages fluorescents, des tubes de néon nimbant l’espace d’une lumière d’un bleu intense, produisant une matière épaisse et fluide à la fois et poussant chacun des visiteurs à avancer, et encore avancer au plus près du grand rectangle bleu...
Jusqu’à ce qu’une hôtesse vous signale la ligne, non visible, à ne pas franchir. Jusqu’à ce qu’elle vous demande avec une infinie politesse de redescendre les marches de marbre de granit noir venu du Zimbawe... Car il faut faire place. Cet ensemble remarquable dialogue avec une autre installation de Turrell et Ando, Minamidera / Backside of the Moon, située à quelques encablures, dans un ancien temple de l’île.