Page 21 - Le Japon avril 2019
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Kyôto
kyo: capitale, to: ville
Une loi y interdit toute construction de plus de soixante mètres
«Heureuse Corinne Atlan ! Cette traductrice brillante de grands auteurs japonais classiques et contemporains (dont Haruki Murakami) arpente depuis quarante ans les rues, venelles, temples et jardins de Kyôto, "une des dix villes au monde où il vaut la peine d’avoir vécu", selon Nicolas Bouvier.
Corinne Atlan cite dès les premières pages le Suisse et sa Chronique japonaise (1975), livre de chevet de tout nippophile. A sa suite, mais désormais autrement mieux intime que lui avec l’ancienne capitale impériale, elle en partage avec générosité son amour et sa connaissance dans Un automne à Kyôto.
Fidèle à son titre, l’auteure articule cette déambulation géographique, architecturale, humaine et littéraire de septembre à décembre, en quatre grands segments, aux mots ciselés et immédiatement évocateurs. Et comme le titre le suggère, Corinne Atlan partage cette sensibilité toute nippone pour l’écoulement des saisons.
Un automne à Kyôto n’est pas un guide touristique, ni la célébration d’une ville-musée pour touristes avides de cartes postales. Mais les voyageurs potentiels y trouveront des pistes de déambulation comme des clés de compréhension de l’âme kyotoïte - si différente de celle des autres villes de l’archipel - et japonaise.
Mais elle rappelle aussi ce "quelque chose [qui] résiste", infranchissable pour le commun des visiteurs au Japon : "pour comprendre véritablement l’autre, il faut apprendre sa langue, regarder le monde sous le même angle que lui". A fortiori au Japon où "un idéogramme ou un mot japonais propose une infinité de nuances et de niveaux de compréhension", "extraordinaire polysémie [qui] est l’une des caractéristiques non seulement de la langue mais aussi de la civilisation de l’archipel nippon, dont les strates feuilletées n’ont jamais vraiment fini de livrer leur mystère".
Au départ de détails a priori anodins ou de rituels de son quotidien, Corinne Atlan nous emporte dans un voyage spirituel et culturel, "non par l’intermédiaire de concepts, mais par le biais de sensations et de perceptions". Celles-ci agrémentent des pages de transition entre les chapitres. Celle sur les "fragments d’architecture" est un ravissement, la quintessence du paysage kyotoïte en trente-trois items évocateurs. Ceux qui connaissent la ville s’y retrouveront plongés. Les autres comprendront comment la regarder.
Si de nombreuses citations convoquent tous les incontournables - Le Dit de Genji (Murasaki Shikibu, XIe siècle), le moine-poète Bashô et ses haïkus, L’Eloge de
l’ombre (Junichirô Tanizaki, 1933), Mishima, Bouvier, Barthes, Butor et tant d’autres -, c’est afin d’en offrir une relecture à l’aune des paysages, des lieux, de sensations qui les ont nourris. Elle dépeint de la sorte "une terre pleine de souvenirs, riche de racines que je me suis inventées et qui sont ma véritable liberté".
Corinne Atlan excelle dans cet art d’"aboucher monde extérieur et monde intérieur comme les lèvres d’une plaie" - citation de Merleau-Ponty qu’elle fait admirablement sienne.


































































































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