Page 30 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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30 PRÉSENTATION
matière. La fin de l’histoire, chez Hegel, serait le moment de la réconciliation définitive, le « Savoir absolu », où le système de l’existence se referme- rait sur lui-même. Mais le style a disparu.
Au contraire, si l’un des deux pôles devait dominer la relation, dans la lutte entre le jeu et le sérieux qui caractérise l’aventure, ce serait plutôt le jeu, c’est-à-dire l’espace irréductible qui sépare le jeu du sérieux. C’est encore la musique qui doit servir à penser cette domination, puisqu’il ne s’agit pas de résorber le sérieux (sans quoi nous retomberions dans un schéma hégélien), mais de maintenir l’opposition, l’équilibre instable : le jeu est comme la note dominante d’un accord disso- nant avec le sérieux. Le jeu de la dualité ne se résorbe donc jamais en une unité sans mettre à mort l’aventure. C’est en ce sens que l’aventure ressemble fondamentalement à l’amour, s’il est vrai que, dans l’amour, on trouve toujours, comme l’écrit Rilke dans les Lettres à un jeune poète, « deux solitudes se protégeant, se complé- tant, se limitant et s’inclinant l’une devant l’autre ». Tel est l’amour du jeu et du sérieux. Contre la dialectique hégélienne, qui digère le concret dans la phénoménologie de l’Esprit, la dialectique entre les contraires est une dialectique sans totalisation : un jeu de renvois perpétuels où personne ne gagne jamais définitivement. Cette dialectique indécise de l’oscillation est donc sans