Page 32 - L’aventure, l’ennui, le sérieux V. Jankélévitch
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32 PRÉSENTATION
Inversement, une aventure qui ne serait qu’un jeu sans risque serait par trop désolidarisée du vécu. Telles sont les aventures imaginaires, celles que nous rêvons, celles que nous éprouvons loin- tainement comme spectateurs d’une tragédie que nous ne vivons pas, comme au cinéma ; celles enfin, bien réelles, dont nous ne lisons que le récit effectué par ceux qui les ont vécues. Imaginaires, virtuelles, racontées, les aventures n’en sont plus, car l’aventure se vit à la première personne. Or cela ne se peut que si nous ne connaissons pas la fin, et à condition de donner des gages : l’aventure n’a une aussi grande valeur pour la vie que dans la mesure où elle met en péril quelque chose de précieux, qui peut être perdu. En cela, l’aventure est une expérience typiquement humaine, dans le sens où elle est inaccessible même aux dieux, comme le suggère au passage Jankélévitch dans une considération enlevée et gracieuse : « Peut- être les anges auraient-ils bien envie de mourir pour pouvoir, comme tout le monde, courir des aventures ; ils sont condamnés, hélas ! à l’immor- talité et meurent peut-être de ne pas mourir ! » (p. 147-149). Voilà pourquoi le philosophe se penche d’abord sur cet aspect le plus évident, le plus impressionnant aussi, de l’aventure, dans la typologie qu’il en propose : la vulnérabilité, sans laquelle il n’est pas d’« aventure mortelle ».