Page 51 - Demo livret 8
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Après avoir défini ces 7 chapitres au cours de nombreuses discussions avec Andrei Erofeev (cette phase, analytique, du projet s’est étalée sur les deux premières années du travail), j’ai mené un long travail de collecte et de classification de la matière documentaire, quelque fois textuelle, mais visuelle surtout. Plutôt que de m’intéresser à des singularités, je cherchais à révéler des pratiques courantes, des langages particuliers élaborés par les habitants spontanément, naturellement, qui traduiraient quelque chose d’essentiel de leur perception du lieu où ils vivent. Je cherchais les symptômes de ces discours. J’ai étudié les formes que ces pratiques occasionnaient − ces « petits gestes qui nous échappent par mégarde » (l’expression se trouve chez Edgar Wind, cité par Carlo Ginzburg) − comme des signes, des indices de réalités plurielles, que je me suis décidée à expliciter.
Rétrospectivement, je réalise que l’évolution du projet correspond à deux temps : temps long de collecte (déplacements, rencontres, enquête, classement, archivage...) et relativement court de production, une longue élaboration virtuelle des formes et une cer- taine immédiateté dans leur matérialisation (je reviendrai sur ce sujet plus tard lorsque je parlerai de l’exposition).
Le processus de la collecte en soi a été l’étape déterminante dans ce projet. En com- mençant par un « ramassage de surface » timide, via des lectures hasardeuses sur lesquelles je tombais, sur internet, dans des livres ou des documents d’archives, je me suis progres- sivement laissée guider par le travail de terrain.
Entre 2014 et 2017 avec Andrei nous avons traversé la région en large et en travers. Tous ce qui s’est retrouvé par la suite sur les pages de mes cahiers, nous l’avions tout d’abord vu. Observé, tourné autour, inspecté, revu, vu disparaître aussi. Nous avions entendu des dizaines d’histoires, été témoins de certaines choses que nous avions pu comprendre bien plus tard. La recherche a donc commencé par le déplacement. Et puis j’ai commencé à rencontrer des personnes, qui par la suite sont devenues mes guides – Anatoly Bakhtine, Maxim Popov, Nikolaï Tronevski, Alexandre et Natalia Bychenko − avec qui nous avions échangé tout au long du projet, et bien d’autres personnes que j’ai croisées épisodique- ment. Sans eux le projet aurait été bien plus pauvre.
Au cours de plusieurs séjours à Kaliningrad entre 2014 et 2017, j’ai développé une base de contacts, un réseau de lieux que j’observais, de sites internet spécifiques que j’ai suivis au plus près. De fil en aiguille, je comprenais ce que je cherchais et où je pouvais le trouver. L’amplitude des sources de mon enquête s’est étendue des Archives Natio- nales aux pages personnelles sur les réseaux sociaux et aux groupes thématiques qui réunissent les habitants engagés dans des problématiques locales : Observateur Prussien, Königsberg/Kaliningrad, Guide Populaire, Musée de la ville de Königsberg, Il est temps de planter les allées...
Ainsi, j’ai trouvé mes documents les plus précieux et les plus parlants chez des gens, dans leurs activités courantes, leur production visuelle : pratiques amateurs de documentation et de collection, photomontages, collages et assemblages, parole et écriture, activisme et
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