Page 52 - Demo livret 8
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simple positionnement du regard. J’ai choisi de travailler surtout avec cette matière, trouvée, de l’interpréter et de la mettre en forme, plutôt que de produire moi-même des images. Je pourrais le formuler aussi autrement : au lieu de produire des images, j’ai préféré produire mes sources.
Lorsque je terminais la rédaction de ce texte, j’ai réalisé, soudain, qu’il y avait dans ma pratique de collecte d’information – factuelle et visuelle – une constante, tout au long, une sorte d’impératif qui s’est imposé à moi comme un évidence : je n’ai travaillé qu’à partir de sources ouvertes, faciles d’accès, à la portée de chacun (à deux-trois exceptions près). Mon corpus de documents ne comporte quasiment pas d’archives en tant que telles. Lorsque je dis avoir travaillé aux archives Nationales de Kaliningrad, j’entends surtout les discussions passionnantes que j’ai eues dans son bureau avec Anatoly Bakhtine, archiviste en chef qui est devenu un ami. J’ai essayé d’abord de mettre la main sur les documents originaux, par exemple de parcourir d’épais numéros de la Pravda, qui étaient comme trouées de cita- tions, déjà. Mais j’ai perdu tout intérêt pour les archives officielles assez vite. Il faut savoir que la situation des archives en Russie est regrettable. Certaines choses disparaissent dans la nature, se dégradent, ou font semblant de non exister. Le rituel de leur visionnage − je ne parle même pas de copie − se conjugue avec toute une chaîne de complications bureaucratiques. J’ai donc constitué mon corpus de recherche essentiellement dans une zone grise de relations humaines, où les choses se disent mais ne sont jamais écrites. Ou bien, il y a des faits échappés, des lapsus bureaucratiques.
Les films soviétiques dits « documentaires » tournés à Kaliningrad dans les premières années de l’après-guerre sont un produit de propagande pure, où la ville même est cadrée de sorte que les ruines et les toits en tuiles restent hors champ. En revanche, le cinéma dit « de fiction » abonde de vues documentaires, où la ville sert de décor mais apparaît à l’image sans retenue.
Parmi mes trouvailles çà et là il y a eu des objets de nature et de statut extrêmement variés : images anonymes issues du flux des réseaux sociaux, coupures de presse et images publicitaires, images d’auteur, venant de l’art ou de cinéma, clichés de photog- raphes locaux, images venant d’archives privées. J’ai décidé de les mettre sur un pied d’égalité en mettant en avant leur qualité documentaire. La structure en 7 chapitres m’a permis de reconstituer à partir de cette masse de données hétéroclites des flux, des narrations, démultiplier l’histoire.
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