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Les réactions de ces ouvriers chinois méritent d’être lues à la lumière de ce qui se passa en Chine après- guerre. Des syndicats ouvriers virent le jour, des grèves se déclenchèrent et surtout le mouvement du 4 mai (49) se développa. Les protestations, les rebellions de ces ouvriers chinois, mises en relation avec les manifes- tations visant à faire reconnaître leurs droits tant en Ardèche que dans les autres départements français, peuvent être analysées comme étant des formes de pro- to-engagements et une tentative de « réappropriation momentanée ou durable de leurs destinées » (50). Cer- tains, à leur retour dans leur patrie, en tant que porte- paroles, purent véhiculer de nouvelles revendications, faire état de nouvelles aspirations. Et ce, d’autant plus que la France, par le biais de la Société franco-chinoise d’éducation, offrit la possibilité à quelques jeunes Chinois d’étudier sur son sol. Ils devaient être des relais de la culture française dans leur pays. Ils furent les vecteurs de nouveaux idéaux. L’Ardèche fut partie prenante de cette politique. Modestement, certes, mais après guerre, quelques ouvriers continuèrent à travail- ler à l’usine de la Viscose, à Vals-les-Bains, logeant
tantôt à la Villa des Fleurs, tantôt à l’hôtel Gandon (51) et une poignée d’entre eux fut autorisée à poursuivre des études au collège de Privas. Ainsi, Li Chi et Tcheng Ko Yang, bientôt rejoints par Kiang Tchen Koang et Yang Tsong Fang purent y parfaire leur connaissance de la langue française. Extrêmement motivés, ils se montrèrent exemplaires suscitant intérêt et bienveil- lance (52), et si l’expérience tourna court à la  n de l’été 1921, au bout de quelques mois, ce ne fut absolu- ment pas pour des raisons disciplinaires mais bien pour un problème pécuniaire. La Société franco-chinoise d’éducation n’avait plus les moyens de les soutenir. Pour la plus grande déception d’un des premiers inté- ressés, Yang Tsong Fang, qui avait manifesté le sou- hait, auprès d’Adrien Reboud, principal du collège de Privas, d’effectuer une nouvelle rentrée dans son éta- blissement. Sa lettre très touchante tend à montrer que les rapports de dé ance avaient fait place à une relation de respect et de con ance mutuels. Les jeunes Chinois n’étaient plus de simples matricules mais des citoyens, en capacité d’échanger, chez qui la maîtrise de la langue française avait décuplé le désir d’émancipation.
 Lettre de Yang Tsong Fang au principal du collège de Privas
 49. Le mouvement du 4 mai 1919 se traduisit par une manifestation, à caractère nationaliste, d’intellectuels et d’étudiants, à Pékin, place Tien An Men. Les protagonistes réclamaient l’abandon des traditions mandarinales et dénonçaient le règlement de la guerre accordant notamment des concessions aux Japonais.
50. Céline Regnard, « Un quotidien violent ? Ré exions sur les conditions de vie des travailleurs chinois en France pendant la Première Guerre mondiale » in Li Ma, op. cit., p. 295.
51. Une note de police destinée à la direction de la Sûreté générale, datée du 24 juin 1925, signale encore la présence de l’ouvrier Li Tsao au café Gandon de Vals, ce dernier faisant l’objet d’une surveillance pour entretenir une correspondance avec le militant communiste Tchang Tou Siou. AN, F/7/13438.
52. Dans une lettre adressée le 14 juillet 1921 au président du comité franco-chinois de patronage des jeunes Chinois en France, voici ce qu’af rmait le principal du collège de Privas : (Ils) « m’ont donné complète satisfaction par leur conduite, leur travail et leur progrès, et je les reprendrai volontiers à la rentrée d’octobre s’ils veulent continuer leurs études chez nous ». Archives du monde du travail (Roubaix), 47 AS 3, B6.
53. Cette société implantée à Paris, présidée par le Professeur à la Sorbonne Alphonse Aulard, vice-présidée par le député du Rhône Marius Moutet, avait vu le jour en 1916. Elle s’était donnée pour but de faciliter les études des élèves ouvriers chinois et leur apprentissage de la langue française.
54. AD07, 1 T 1543 : Etudiants chinois au collège de Privas. Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018 36


























































































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