Page 47 - matp
P. 47

Schlucht arrivait tout près de là. On me coucha sur le lit sans matelas et un major du 54ème à la mine un peu plus aimable vint m’examiner sommairement mes plaies et me  t faire un pansement bien fait. Je me couchais là mais je ne devais rien manger mais seulement boire très peu à cause d’une forte douleur dans le ventre produite sans doute par la commotion de l’obus qui m’avait bles- sé. Je restais là et j’appris que là-haut d’où je venais les Allemands avaient déjà
près de la station car je ne pouvais ni bouger ni m’asseoir. Un mulet et quelques hommes grelottant sous la neige m’attendaient là. Il était à peu près trois heures du soir. On m’étendit, couché, sur une sorte de cacolet (1) fort incommode et un autre blessé fut mis de l’autre côté pour faire contrepoids. On nous lia un peu je crois comme de vrais sacs et sous les bras étendus de majestueux sapins vosgiens qui nous préservaient
fait huit contre-attaques
furieuses. Les tranchées
avaient été prises et reprises.
Les obus, les minenwerfers,
le liquide en ammé même
avaient été employés. Le
lance-bombe était je crois
un engin nouveau employé
contre nous et par nous. Ce-
pendant à Ypres les crapouil-
lots avaient servi pendant
que nous y étions. Le 23ème
Chasseur avait pour atta-
quer 1 797 hommes, après
la première attaque il y avait
717 hommes hors de com-
bat. Beaucoup d’of ciers
avaient été tués ou blessés.
Notre commandant, auquel
on tenait bien, fut plus tard amputé d’une jambe par suite d’une blessure reçue en montant à l’assaut, un fusil à la main. Je sus que le seul 23ème avait réussi à mettre en fuite dix-sept compagnies allemandes ou autrichiennes car il y avait de ces derniers au Reichakerkopf.
Le cacolet
un peu de la neige nous parvînmes à gravir le sentier ardu qui menait à la route de la Schlucht à la ville de Munster. Ce voyage était certes assez peu confortable mais on n’était pas dif ciles et on eût certes pas l’idée de proférer une plainte. A chaque instant on craignait que le mulet s’agenouillât sur le chemin pierreux et glissant. Il n’en fut rien cependant et au bout d’une heure environ nous nous arrêtâmes à un poste de secours, de relais plutôt. Où étions-nous ? Dans la forêt. Une petite hutte de branchages ouverte à tous les vents et préservant seulement de la neige fut le lieu où l’on nous déposa... Couché sur mon brancard... à demi-mort de froid je restai là près de trois heures car on n’avait pas de moyen de transport. Il fallait attendre un prochain convoi de ravitaillement fait en traîneau pendant la nuit. Ce qu’on souffrît pendant ces trois heures sans mouvement et couvert seulement d’un manteau, je ne puis le dire mais jamais je n’aurais cru pouvoir vivre longtemps dans l’état où je me trouvais !!! En n !!!
Vers 8 heures et demie environ un traîneau attelé à un cheval passa. Les conducteurs furent assez aimables pour nous prendre par pitié... Je ne sentais plus mes jambes, ni mes pieds, ni rien tant j’avais froid. Je fus couché tant bien que mal sur ce véhicule et en route... Nous voici à la Schlucht ; mais il y a si longtemps que nous sommes là qu’il nous tarde bien d’arriver. En n on s’arrête et on nous transporte au « collet » dans une baraque en planches dont l’intérieur est garni d’une toile et d’un poêle. Il est minuit et demi, mais pendant
  La neige tombait au dehors en vraie tourmente. Je souffrais assez mais j’étais heureux au fond d’être un peu à l’abri. Des obus tombaient pas très loin du lieu où j’étais. Une batterie française placée dans le bois derrière nous la mit au silence en tirant à peu près 550 coups de canon sans s’arrêter. Le major et les in rmiers étaient assez aimables. Ils me parlaient souvent... Le 8 au soir le major vint me dire que probablement j’allais être emporté car il avait donné des ordres pour ça... Cela m’encouragea encore un peu. J’attendis mais en vain... Personne ne vint probablement à cause de la grande tourmente de neige et du froid excessif... Je ne mangeais rien et j’avais assez de  èvre. La nuit je ne pus guère dormir et pour ça la trouvai longue... Les in rmiers me racontaient ce qu’ils savaient du combat. Il y avait quelques prisonniers mais peu car on disait que l’ordre avait été donné de n’en point faire après qu’on avait vu les Boches nous tirer dessus après avoir levé les bras en l’air. Il y avait sûrement beaucoup de morts surtout du côté allemand car toutes leurs contre- attaques avaient été faites en rangs serrés et prises sous le feu des mitrailleuses.
Le lendemain j’appris que j’allais partir. On m’emporta sur un brancard jusqu’à un certain point
 1. Cacolet ou caquolet : sièges sommaires  xés de chaque coté du bât d’un mulet qui servait pour le transport des blessés.
45 Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018






































































   45   46   47   48   49