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 Dieu et Patrie ! Cela vaut aussi pour « ceux de l’arrière » qui, trop souvent pour Xavier Vallat, plaignent ceux du front, au risque de les décourager, de leur faire perdre leur force d’âme, cet amour de la Patrie chevillé au corps de l’auteur de cette lettre intitulée « Propos du front » et destinée à être publiée :
Propos du front (lettre-article publié dans La Gerbe n°28 du 15 juillet 1915 page 474)
« J’avertis mes amis que ce titre ne signi e rien, à l’encontre de la plupart des titres ; mais il est nécessaire qu’il y ait un titre à un article même si cet article est écrit dans une tranchée à cinq cents mètres des Boches et même si cet article n’est qu’une suite de propos décousus...
  J’aurais aussi bien pu l’intituler : sermon, car je me propose de morigéner quelque peu certaines gens. Mais alors... Il en est qui aurait peut-être sauté mon article ! Et mon amour propre en eût été froissé : ça m’aurait fait ma troisième blessure...
Venez donc ici, gens de l’arrière, que je vous sermonne !
D’abord, plus que tous les autres vous devez être patients. C’est votre premier devoir envers la patrie. Pourquoi s’aborder dans la rue d’un air sombre, en murmurant : “Mon Dieu ! Que cela est long ! Que cette guerre est terrible”. Il y a mieux à faire que de se lamenter et de se répandre en jérémiades ; les champs de batailles ne sont pas tous limités par les blancs sillons des tranchées qui égratignent la chair de notre pays. Il en est d’innombrables à l’intérieur où il faut faire preuve d’au moins autant de courage qu’ici :
- Champ de bataille de la charité pour les pauvres gens à qui la guerre a enlevé un père ou un mari ; champ de bataille de la pitié pour les nombreuses détresses morales mises à vif ; et surtout champ de bataille du dévouement qu’une prière offrira en holocauste pour préserver du danger les chers absents qui se battent là-haut. Sachez vivre vaillamment ; c’est plus dif cile que de mourir ici.
- Mais il ne suf t pas de se résigner bravement à faire son devoir de Français ; il faut encore se garder de diminuer l’élan des combattants par de fâcheuses lettres, comme il m’a été donné d’en avoir quelques-unes. Comment ! Nous sommes ici à supporter des privations, à veiller nuit et jour, à sentir passer sur nos têtes le souf e des obus, à avoir les oreilles déchirées par l’éclatement des bombes et le sif ement des balles ; nous vivons au milieu de la mort sans nous plaindre et sans faiblir parce que nous nous accrochons de toutes nos forces physiques et morales à la volonté, bien ancrée dans notre cœur, de ne pas déposer les armes tant que nous n’aurons pas délivré notre sol de l’ennemi qui s’y cramponne avec la rage d’un désir inassouvi...
Et voilà tout ce qu’on trouverait à nous dire, au lieu de nous insuf er de nouvelles énergies : “Mon Dieu que c’est long ! Que ce cauchemar est terrible ! Que l’on vous plaint !”.
Non, ce n’est pas vrai ; ce n’est pas trop long, ce n’est pas trop terrible pour nous ; et nous ne voulons pas que l’on nous plaigne ! On ne plaint pas celui qui souffre et qui meurt pour un idéal aussi haut que le nôtre, pour une terre aussi belle que la nôtre, pour un héritage aussi précieux que le nôtre. On ne le plaint pas, on le félicite.
Que les femmes et les mères ardéchoises n’affaiblissent pas leurs héros, elles déchoiraient en les faisant déchoir... Vos  ls et vos maris, voilà dix mois que je me bats à leurs côtés ; ils sont admirables ! »
Et de développer plus avant une « philosophie de la terre », que l’on retrouvera plus loin, et la référence constante aux héros de la nation France :
« Ces paysans cévenols qui, le soir, rentraient de leur démarche lente de terrien en précédant les chars traînés par des vaches paisibles et obéissantes à l’aiguillon, je les ai vus se battre furieusement, comme pris d’une rage subite. C’est que, dans leur âme, plus vaste peut-être que celle des citadins, où subsistaient, assoupis, tous les ferments obscurs des vieux Gaulois batailleurs et attachés aux chênes de leur pays, s’est subitement réveillée la colère forte de voir la Gaule foulée de nouveau sous les pas pesants du Germain. A la voix de la Patrie de Clovis, de Charlemagne, de saint Louis et de Jeanne, ils se sont levés pour venir faire un barrage de
  Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018 58
SERMON A CEUX DE L’ARRIERE




















































































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