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retournée en votre absence par les femmes et les vieux, vous puissiez, à nouveau, arracher à la glèbe la vie de votre famille et de votre pays. Soyez  ers paysans de votre titre ; glori ez-vous d’être des piocheurs ; la pioche des Ardéchois du Mort-Homme a commencé les fondations de la France nouvelle et Victorieuse.
... sous-lieutenant du groupe de ... »
La violence des dernières phrases, la teneur de la lettre reçue à Viviers, sont-elles à l’origine de cette « censure » appliquée sur le nom de Xavier Vallat, seul son grade permettant de le reconnaître en dehors du style et du mode d’expression utilisés.
Xavier Vallat ne reçut pas le numéro 6 de La Gerbe mais en fut informé par d’autres voix. Ce qui provoqua chez lui cette remarque inscrite dans une lettre manus- crite du 4 juin 1916, adressée à un ami et non publiée :
« Eyguières le 4 juin 1916
... Ça ne m’étonne pas qu’on ait censuré mon nom,
  Article manuscrit accompagnant une lettre du 2 juillet 1916 (publié dans La Gerbe n°13 du 1er novembre 1916 page 698)
« ... Dès lors ce fut entre nous une intimité de tous les instants. A la tranchée où, of ciers et poilus vivent constamment ensemble, sa fonction délicate d’agent de liaison le rapprochait encore plus spécialement de moi ; et c’était entre nous de longues causeries qui me permettaient de découvrir, chaque jour, un peu plus la beauté de cette âme de modeste. La modestie était bien en effet une des caractéristiques de Vitou ; faisant sans bruit son métier de poilu, il détestait attirer l’attention et si ses supérieurs, malgré lui, voulaient le tirer de l’ombre où il s’effaçait, il mettait une véritable énergie à défendre son obscurité volontaire. Il avait l’étoffe d’un excellent of cier et, plusieurs fois, il fut proposé avec des notes très élogieuses pour les premiers galons de laine qui lui auraient permis de conquérir les autres. Chaque fois il alla supplier son commandant de compagnie de le laisser à sa place d’agent de liaison, et ce ne fut qu’après une longue discussion où je lui démontrais qu’il agissait mal en privant le bataillon d’un gradé énergique, qu’il consentit à être nommé caporal.
ce nom étant déjà un champ de bataille où tombèrent bien des cœurs ; d’ailleurs personne n’aura hésité un instant à mettre mon nom sur la  gure de ces pioches, si j’ose m’exprimer ainsi.
Comme je n’ai pas reçu ce numéro de La Gerbe, je t’autorise à m’en faire parvenir quelques centaines d’exemplaires... »
Cette relation entre foi et patriotisme, cette relation entre la terre et « la race » , s’exprimeront encore forte- ment à l’occasion de la mort de Paul Vitou, de Tournon, que les hasards avaient conduit près de Xavier Vallat pour servir d’agent de liaison.
  Deux autres traits saillants marquaient cette âme : il était  ls croyant du Vivarais catholique et sa bravoure était d’une essence très pure, très rare.
Vitou était un amoureux de la terre de chez nous. Il l’aimait d’abord pour elle-même, en tant que glèbe fertile qui récompense les efforts de ses travailleurs, et c’est cet amour qui l’avait guidé dans le choix d’une carrière, puisqu’il s’était fait ingénieur agronome. Il l’aimait aussi, cette terre, à cause de ses enfants, à cause de la race qu’elle élève, de ces Ardéchois au corps solide et sain, à l’âme simple, vite agenouillés devant Dieu et les puissances célestes. Quand il me parlait de la terre ardéchoise et de ceux qui la remuent, ses yeux de mystique s’agrandissaient et brillaient encore davantage ; et ses rêves d’avenir se bornaient, après la guerre, de vivre dans un coin de la Haute-Ardèche où il propagerait parmi les paysans les bienfaits des nouvelles méthodes de culture adaptées à notre sol.
En n, Vitou était le modèle du soldat chrétien. Je n’ai pas besoin d’insister sur la profondeur de sa Foi ; je me bornerai à dire qu’il mettait la religion dans tous ses actes et que ses actes en étaient singulièrement rehaussés. Sa bravoure était légendaire à la compagnie, bravoure où n’entrait en rien la fanfaronnade et le désir de paraître ; mais bravoure faite, tout entière, du sentiment qui primait tout chez lui, du devoir patriotique à accomplir sans cesse. Toutes les fois où je demandais des patrouilleurs volontaires, je le voyais se dresser, sans bruit, au premier rang : il trouvait cela tout naturel et il aurait trouvé tout naturel aussi que cela passât inaperçu.
Après deux ans de dangers, son enthousiasme ré échi n’avait nullement été altéré et, en son âme de droiture, la notion du devoir ne s’était obscurcie d’aucun sophisme. Le devoir demeure toujours entier : on ne l’accomplit jamais jusqu’au bout ; car lorsque le devoir d’aujourd’hui est achevé, celui de demain n’en reste pas moins intégral pour les âmes de bonne volonté. C’était ce que pensait Vitou, c’est ce que doivent penser tous les Français et c’est ce qui devait être particulièrement souligné dans une esquisse rapide du caractère de notre ami.
La mort de Vitou est une perte réelle non seulement pour notre association, mais aussi pour
Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent n°139, 2018 62


















































































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